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tairement. — Que faites-vous donc ? demanda Desgenais.

— Écoutez, lui dis-je : si j’étais peintre, et si je voulais peindre la mélancolie, je ne peindrais pas une jeune fille rêveuse, un livre entre les mains.

— À qui en avez-vous ce soir ? dit-il en riant.

— Non, en vérité, continuai-je ; cette Madeleine dans les larmes a le sein gonflé d’espérance ; cette main pâle et maladive, sur laquelle elle soutient sa tête, est encore embaumée des parfums qu’elle a versés sur les pieds du Christ. Ne voyez-vous pas que dans ce désert il y a un peuple de pensées qui prient ? Ce n’est pas là la mélancolie.

— C’est une femme qui lit, répondit-il d’une voix sèche.

— Et une heureuse femme, lui dis-je, et un heureux livre.

Desgenais comprit ce que je voulais dire ; il vit qu’une profonde tristesse s’emparait de moi. Il me demanda si j’avais quelque cause de chagrin. J’hésitais à lui répondre, et je sentais mon cœur se briser.

— Enfin, me dit-il, mon cher Octave, si vous avez un sujet de peine, n’hésitez pas à me le confier ; parlez ouvertement, et vous trouverez en moi un ami.

— Je le sais, répondis-je, j’ai un ami ; mais ma peine n’a pas d’ami.

Il me pressa de m’expliquer. — Eh bien ! lui dis-je, si je m’explique, de quoi cela nous servira-t-il, puisque