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nuyait non plus de rien. Il paraissait aussi difficile de la fâcher que de lui plaire ; elle faisait ce qu’on lui demandait, mais rien de son propre mouvement. Je pensai au génie du repos éternel, et je me disais que, si cette pâle statue devenait somnambule, elle ressemblerait à Marco.

— Es-tu bonne ou méchante ? lui disais-je ; triste ou gaie ? As-tu aimé ? veux-tu qu’on t’aime ? aimes-tu l’argent, le plaisir, quoi ? les chevaux, la campagne, le bal ? qui te plaît ? à quoi rêves-tu ? Et à toutes ces demandes le même sourire de sa part, un sourire sans joie et sans peine, qui voulait dire : Qu’importe ? et rien de plus.

J’approchai mes lèvres des siennes ; elle me donna un baiser, distrait et nonchalant comme elle, puis elle porta son mouchoir à sa bouche. — Marco, lui dis-je, malheur à qui t’aimerait !

Elle abaissa sur moi son œil noir, puis le leva au ciel, et, mettant un doigt en l’air, avec ce geste italien qui ne s’imite pas, elle prononça doucement le grand mot féminin de son pays : Forse[1] !

Cependant on servit le dessert ; plusieurs des convives s’étaient levés ; les uns fumaient, d’autres s’étaient mis à jouer, un petit nombre restait à table ; des femmes dansaient, d’autres s’endormaient. L’orchestre revint ; les bougies pâlissaient, on en remit d’autres. Je me

  1. Peut-être.