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la première vague qui sent la tempête, et qui se dresse pour l’annoncer ; elle fit signe de la main pour demander le silence, vida son verre d’un coup, et, du mouvement qu’elle fit, elle se décoiffa ; une nappe de cheveux dorés lui roula sur les épaules ; elle ouvrit les lèvres, et voulut entonner une chanson de table ; son œil était à demi fermé. Elle respirait avec effort ; deux fois un son rauque sortit de sa poitrine oppressée ; une pâleur mortelle la couvrit tout à coup, et elle retomba sur sa chaise.

Alors commença un vacarme qui, pendant plus d’une heure que dura encore le souper, ne cessa pas jusqu’à la fin. Il était impossible d’y rien distinguer, ni les rires, ni les chansons, pas même les cris.

— Qu’en pensez-vous ? me dit Desgenais. — Rien, répondis-je ; je me bouche les oreilles et je regarde.

Au milieu de ce bacchanal, la belle Marco restait muette, ne buvant pas, appuyée tranquillement sur son bras nu et laissant rêver sa paresse. Elle ne semblait ni étonnée ni émue. — N’en voulez-vous pas faire autant qu’eux ? lui demandai-je ; vous qui m’avez offert du vin de Chypre tout à l’heure, ne voulez-vous pas y goûter aussi ? Je lui versai, en disant cela, un grand verre plein jusqu’au bord ; elle le souleva lentement, le but d’un trait, puis le reposa sur la table et reprit son attitude distraite.

Plus j’observais cette Marco, plus elle me paraissait singulière ; elle ne prenait plaisir à rien, mais ne s’en-