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journée entière de bruit et de fatigues, nous nous rendîmes chez Desgenais, qui nous avait devancés de quelques heures pour faire ses préparatifs. L’orchestre était déjà en train, et le salon rempli à notre arrivée.

La plupart des danseuses étaient des filles de théâtre ; on m’expliqua pourquoi celles-là valent mieux que les autres : c’est que tout le monde se les arrache.

À peine entré, je me lançai dans le tourbillon de la valse. Cet exercice vraiment délicieux m’a toujours été cher ; je n’en connais pas de plus noble, ni qui soit plus digne en tout d’une belle femme et d’un jeune garçon ; toutes les danses, au prix de celle-là, ne sont que des conventions insipides ou des prétextes pour les entretiens les plus insignifiants. C’est véritablement posséder en quelque sorte une femme, que de la tenir une demi-heure dans ses bras et de l’entraîner ainsi, palpitante malgré elle, et non sans quelque risque, de telle sorte qu’on ne pourrait dire si on la protège ou si on la force. Quelques-unes se livrent alors avec une si voluptueuse pudeur, avec un si doux et un si pur abandon, qu’on ne sait si ce qu’on ressent près d’elles est du désir ou de la crainte, et si, en les serrant sur son cœur, on se pâmerait ou on les briserait comme des roseaux. L’Allemagne, où l’on a inventé cette danse, est à coup sûr un pays où l’on aime.

Je tenais dans mes bras une superbe danseuse d’un théâtre d’Italie, venue à Paris pour le Carnaval ; elle était en costume de bacchante, avec une robe de peau