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se conduire comme un véritable écolier. Son sang-froid était alors à mourir de rire. Il me persuada un jour de sortir à pied tous deux, seuls, à la brune, affublés de costumes grotesques, avec des masques et des instruments de musique. Nous nous promenâmes ainsi toute la nuit, gravement, au milieu du plus affreux charivari. Nous trouvâmes un cocher d’une voiture de place endormi sur son siège ; nous dételâmes les chevaux ; après quoi, feignant de sortir d’un bal, nous l’appelâmes à grands cris. Le cocher s’éveilla, et, au premier coup de fouet qu’il donna, ses chevaux partirent au trot, le laissant ainsi perché sur son siège. Nous fûmes le même soir aux Champs-Élysées. Desgenais, voyant passer une autre voiture, l’arrêta, ni plus ni moins qu’un voleur ; il intimida le cocher par ses menaces, et le força de descendre et de se mettre à plat ventre. C’était un jeu à se faire tuer. Cependant il ouvrit la voiture, et nous trouvâmes dedans un jeune homme et une dame immobiles de frayeur. Il me dit alors de l’imiter, et, ayant ouvert les deux portières, nous commençâmes à entrer par l’une et à sortir par l’autre, en sorte que dans l’obscurité les pauvres gens du carrosse croyaient à une procession de bandits.

Je me figure que les gens qui disent que le monde donne de l’expérience doivent être bien étonnés qu’on les croie. Le monde n’est que tourbillons, et il n’y a aucun rapport entre ces tourbillons. Tout s’en va par bandes comme des volées d’oiseaux. Les différents quar-