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classe de femmes qu’on appelle faciles m’est inconnue, ou si je m’y suis laissé prendre, c’est sans le savoir et par simplicité.

Je comprends qu’on mette son âme de côté, mais non qu’on y touche. Qu’il y ait de l’orgueil à le dire, cela est possible ; je n’entends ni me vanter, ni me rabaisser. Je hais par-dessus tout les femmes qui rient de l’amour, et leur permets de me le rendre ; il n’y aura jamais de dispute entre nous.

Ces femmes-là sont bien au-dessous des courtisanes ; les courtisanes peuvent mentir et ces femmes-là aussi ; mais les courtisanes peuvent aimer, et ces femmes-là ne le peuvent pas. Je me souviens d’une qui m’aimait, et qui disait à un homme trois fois plus riche que moi, avec lequel elle vivait : Vous m’ennuyez, je vais trouver mon amant. Cette fille-là valait mieux que bien d’autres qu’on ne paye pas.

Je passai la saison entière chez Desgenais, où j’appris que ma maîtresse était partie, et qu’elle était sortie de France ; cette nouvelle me laissa dans le cœur une langueur qui ne me quitta plus.

À l’aspect de ce monde si nouveau pour moi qui m’entourait à cette campagne, je me sentis pris d’abord d’une curiosité bizarre, triste et profonde, qui me faisait regarder de travers comme un cheval ombrageux. Voici la première chose qui y donna lieu.

Desgenais avait alors une très belle maîtresse, qui l’aimait beaucoup ; un soir que je me promenais avec