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l’herbe se donnaient autrefois. Un de nos amis, assis sur le siège, tomba, au risque de se tuer, sur le pavé. Le peuple se précipita sur lui pour l’assommer ; il fallut y courir et l’entourer. Un des sonneurs de trompe qui nous précédaient à cheval reçut un pavé sur l’épaule : la farine manquait. Je n’avais jamais entendu parler de rien de semblable à cela.

Je commençai à comprendre le siècle, et à savoir en quel temps nous vivons.

[Le type de ce temps consiste avant tout en un contraste marqué : chez les femmes qui se vendent, ineptie, misère, bassesse et convoitise ; chez les hommes qui les paient, dédain et ennui.

C’est la civilisation qui a creusé entre eux cet abîme. Quels sont ces hommes ? des grands seigneurs, c’est-à-dire des hommes instruits, intelligents, nobles et braves, car aujourd’hui c’est là ce que signifie ce mot ; des artistes, des étudiants, des jeunes gens de familles riches, qui tous ont reçu une éducation excellente, qui tous ont le cœur haut placé ; voilà les débauchés du siècle. Et à quelles femmes ont-ils affaire, le jour où il leur prend envie de l’être ? au rebut d’une société plus vieille que Saturne, à des larves sans tête, sans cœur, sans âme, à des esclaves en un mot.

La prostitution n’est pas autre chose que l’esclavage. Que voulez-vous donc qu’il y ait de commun entre ces jeunes gens et leurs maîtresses ? le corps, et rien de plus. Et que fait la pensée pendant ce temps-là ? Durant