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qui je ne voulais rien que la permission de pleurer à sa porte, rien que de me laisser vouer loin d’elle ma jeunesse à son souvenir, et écrire son nom, son nom seul, sur le tombeau de mes espérances !… Ah ! lorsque j’y songeais, je me sentais mourir ; c’était cette femme qui me raillait. C’était elle qui, la première, me montrait au doigt, me signalait à cette foule oisive, à ce peuple vide et ennuyé qui s’en va ricanant autour de tout ce qui le méprise et l’oublie ; c’était elle, c’étaient ces lèvres-là, tant de fois collées sur les miennes ; c’était ce corps, cet être-là, cette âme de ma vie, ma chair et mon sang, c’était de là que sortait l’injure ; oui, la dernière de toutes, la plus lâche et la plus amère, le rire sans pitié qui crache au visage de la douleur !

Plus je m’enfonçais dans mes pensées, et plus ma colère augmentait. Est-ce de la colère qu’il faut dire ? car je ne sais quel nom porte le sentiment qui m’agitait. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’un besoin désordonné de vengeance finit par prendre le dessus. Et comment me venger d’une femme ? J’aurais payé ce qu’on aurait voulu pour avoir à ma disposition une arme qui pût l’atteindre ; mais quelle arme ? Je n’en avais aucune, pas même celle qu’elle avait employée ; je ne pouvais lui répondre en sa langue.

Tout à coup j’aperçus une ombre derrière le rideau de la porte vitrée ; c’était la créature qui attendait dans le cabinet.

Je l’avais oubliée. — Écoutez, m’écriai-je en me le-