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dix ans, dans vingt ans, si tu veux, c’est la même chose pour moi ; j’ai cessé de compter les heures.

Minuccio.

Par Dieu ! tu me mettrais en colère ! Ainsi donc, moi qui t’ai bercé lorsque j’étais un grand enfant et que tu en étais un petit, il faut que je te laisse aller à ta perte sans essayer de t’en empêcher, maintenant que tu es un grand garçon et moi un homme ? Je ne puis rien obtenir ? Que vas-tu faire ?] Tu as quelque blessure au cœur ; qui n’a la sienne ? Je ne te dis pas de combattre à présent ta tristesse, mais de ne pas t’attacher à elle et t’y enchaîner sans retour, car il viendra un temps où elle finira. Tu ne peux pas le croire, n’est-ce pas ? Soit, mais retiens ce que je vais te dire : Souffre maintenant s’il le faut, pleure si tu veux, et ne rougis point de tes larmes ; montre-toi le plus malheureux et le plus désolé des hommes ; loin d’étouffer ce tourment qui t’oppresse, déchire ton sein pour lui ouvrir l’issue, laisse-le éclater en sanglots, en plaintes, en prières, en menaces ; mais, je te le répète, n’engage pas l’avenir ! Respecte ce temps que tu ne veux plus compter, mais qui en sait plus long que nous, et, pour une douleur qui doit être passagère, ne te prépare pas la plus durable de toutes, le regret, qui ravive la souffrance épuisée, et qui empoisonne le souvenir !

[Perillo.

Tu peux avoir raison. Dis-moi, vois-tu quelquefois maître Bernard ?