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Le marquis.

Mais, madame…

La comtesse.

Vous me l’avez dit, et j’en conviens. Vous, au contraire, vous remuez toujours ; vous revenez de la chasse quand je me lève ; vous avez sans cesse les doigts tachés d’encre, et c’est pour moi un chagrin d’écrire. Pour la lecture, c’est tout de même ; vous dévorez jusqu’à des tragédies avec un appétit féroce, pendant que je dors à leur doux murmure. Dans le monde, vous ne savez que faire, à moins que ce ne soit, comme M. de Brancas, d’accrocher votre perruque à un lustre ; vous ne dites mot, ou vous parlez tout seul, sans vous soucier de ce qui vous entoure ; moi, je l’avoue, j’aime la causerie, j’irais volontiers jusqu’au bavardage si tant de gens ne s’en mêlaient pas, et pendant que vous êtes dans un coin, boudant d’un air sauvage, le bruit m’amuse, m’entraîne, un bal m’éblouit. Est-ce qu’avec toutes ces disparates on ne pourrait pas faire un tableau ? Trouvons un cadre où nous pourrions mettre, vous, votre feuille morte, moi, ma couleur de rose, nos qualités par-dessus nos défauts ; où nous serions, à tour de rôle, tantôt le chien, tantôt l’aveugle. Ne serait-ce pas un bel exemple à donner au monde, qu’un homme ayant assez d’amour pour renoncer à dire : Je veux, et une femme, sacrifiant plus encore, le plaisir de dire : Si je voulais ?