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Alors prenant pour moi son aspect véritable,
Apparut à mes yeux ce spectre redoutable,
Le monde… Ses plaisirs, ses attraits, ses dangers,
L’air enivrant des cours et leurs bruits passagers,
Il me fallut tout voir ; — alors la méfiance
M’enseigna lentement sa froide expérience.
Je vis le duc fêté, bienvenu près du roi,
Joyeux, heureux partout,… excepté près de moi.
Mon cœur, qui d’un soutien s’était fait l’habitude,
Pour la première fois connut la solitude.
Puis je devins jalouse, et je me dis un jour :
Ce n’est plus le bonheur que je sens, c’est l’amour !

La maréchale.

Qu’est-ce à dire ?

La duchesse.

Qu’est-ce à dire ?Oui, l’amour ! — à l’âge où tout s’ignore,
En prononçant ce mot sans le comprendre encore,
On ne voit qu’un beau rêve, une douce amitié,
Où d’un commun trésor chacun a la moitié ;
On croit qu’aimer, enfin, c’est le bonheur suprême…
Non. Aimer, c’est douter d’un autre et de soi-même,
C’est se voir tour à tour dédaigner ou trahir,
Pleurer, veiller, attendre ;… avant tout, c’est souffrir !
Elle pleure.

La maréchale.

Je ne vous blâme point, je vous l’ai dit, Lucile.
Vous voulez qu’on vous aime, et rien n’est plus facile.
Je vous en prie encor, prenez quelque repos.