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Mais je me suis senti pâlir de ce sourire.
C’est un jeu, j’en conviens, c’est un propos de bal,
Tout ce qu’il vous plaira, mais cela fait bien mal.

La maréchale.

Je ne vous blâme pas d’être un peu trop sensible.
Prenez quelque repos, enfant, s’il est possible.
Laissez là vos chagrins, et la dame aux grands airs[1].

La duchesse.

Grâce pour mes chagrins, madame, ils me sont chers.
Au couvent, l’an passé, quand j’appris de l’abbesse
Que j’avais un époux et que j’étais duchesse,
Le cœur me battait bien un peu, mais pas bien fort.
On fit ce mariage, et je n’y vis d’abord
Qu’un jeune grand seigneur, plein de galanterie,
Qui me donnait gaiement son nom, son rang, sa vie.
Tous ces biens me semblaient si doux à partager
Que je ne pensais pas qu’un tel sort pût changer.
Si c’est là le bonheur, disais-je, il est bizarre
Qu’à le voir si facile on le trouve si rare.
Mais lorsqu’après un an de ce charmant sommeil,
Arriva par degrés le moment du réveil ;
Quand le duc, fatigué d’une paix importune,
Rougissant tout à coup d’oublier sa fortune,
Voulut, en m’entraînant, la rejoindre à grands pas,
Je compris que si loin je ne le suivrais pas.

  1. Au lieu de ce vers on dit au théâtre :
    Ce sont de doux chagrins qui vous semblent amers.
    (Note de l’auteur.)