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Né de ce triste cœur ou dans ma pauvre tête,
Près de lui par moments me saisit et m’arrête.
Je voudrais lui complaire et sortir avec lui,
Songer à ma parure, oublier mon ennui,
Puisqu’il le veut, enfin, essayer d’être belle,
Et tout cela me cause une frayeur mortelle.
Je sens trembler ma main quand je lui prends le bras…
Quelqu’un est entre nous, que je ne connais pas.

La maréchale.

Ma belle, y songez-vous ? quelle est votre pensée ?
Parlez-vous, à votre âge, en femme délaissée ?
Avez-vous un reproche à faire à votre époux ?
Qu’est-ce donc ?

La duchesse.

Qu’est-ce donc ? Je ne sais.

La maréchale.

Qu’est-ce donc ? Je ne sais.Quelqu’un est entre vous ?
Une femme, à coup sûr ; vous est-elle connue ?
Parlez.

La duchesse.

Parlez.Je n’en sais rien, mais j’en suis convaincue.

La maréchale.

Ainsi, pour quatre mots, vous vous désespérez,
Et ce qui vous chagrine, au fond, vous l’ignorez.
Dirait-on pas vraiment, à voir votre tristesse,
Qu’un grand secret bien noir vous trouble et vous oppresse ?
Et c’est un bal manqué qui produit tout cela !
J’en avais, à vingt ans, de ces gros chagrins-là.