Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies II.djvu/334

Cette page a été validée par deux contributeurs.

voyez bien que je n’emprunte pas. Vous me reprochez d’aller en fiacre : c’est que je n’ai pas de voiture. Je prends, dites-vous, en rentrant, ma chandelle chez mon portier : c’est pour ne pas monter sans lumière ; à quoi bon se casser le cou ? Vous voudriez me voir un état : faites-moi nommer premier ministre, et vous verrez comme je ferai mon chemin. Mais quand je serai surnuméraire dans l’entre-sol d’un avoué, je vous demande ce que j’y apprendrai, sinon que tout est vanité. Vous dites que je joue à la bouillotte : c’est que j’y gagne quand j’ai brelan ; mais soyez sûr que je n’y perds pas plus tôt que je me repens de ma sottise. Ce serait, dites-vous, autre chose si je descendais d’un beau cheval, pour entrer dans un bon hôtel : je le crois bien ! vous en parlez à votre aise. Vous ajoutez que vous êtes fier, quoique vous ayez vendu du guingan ; et plût à Dieu que j’en vendisse ! ce serait la preuve que je pourrais en acheter. [Pour ma noblesse, elle m’est aussi chère qu’elle peut vous l’être à vous-même ; mais c’est pourquoi je ne m’attelle pas, ni plus que moi les chevaux de pur sang.] Tenez ! mon oncle, ou je me trompe, ou vous n’avez pas déjeuné. Vous êtes resté le cœur à jeun sur cette maudite lettre de change : avalons-la de compagnie, je vais demander le chocolat.

Il sonne. On sert à déjeuner.

Van buck.

Quel déjeuner ! Le diable m’emporte ! tu vis comme un prince.