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blaient chercher mes yeux, [et m’inviter comme deux anges à un festin de joie et de vie] ; parce que vos lèvres s’étaient ouvertes, et qu’un vain son en était sorti ; oui, je l’avoue, j’avais fait un rêve, j’avais cru qu’on aimait ainsi ! Quelle misère ! Est-ce à une parade que votre sourire m’avait félicité de la beauté de mon cheval ? Est-ce le soleil, dardant sur mon casque, qui vous avait ébloui les yeux ? Je sortais d’une salle obscure, d’où je suivais depuis deux ans vos promenades dans une allée ; j’étais un pauvre dernier clerc qui s’ingérait de pleurer en silence. C’était bien là ce qu’on pouvait aimer !

Jacqueline.

Pauvre enfant !

Fortunio.

Oui, pauvre enfant ! dites-le encore, car je ne sais si je rêve ou si je veille, et, malgré tout, si vous ne m’aimez pas. Depuis hier [je suis assis à terre, je me frappe le cœur et le front ;] je me rappelle ce que mes yeux ont vu, ce que mes oreilles ont entendu, et je me demande si c’est possible. À l’heure qu’il est, vous me le dites, je le sens, j’en souffre, j’en meurs, et je n’y crois ni ne le comprends. Que vous avais-je fait, Jacqueline ? Comment se peut-il que, sans aucun motif, sans avoir pour moi ni amour ni haine, sans me connaître, sans m’avoir jamais vu ; comment se peut-il que vous que tout le monde aime, que j’ai vue faire la charité et arroser ces fleurs que voilà, qui êtes bonne, qui croyez