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dont tu connais toutes les pages, crois-tu qu’on puisse voir s’envoler sans regret dix ans d’innocence et de tranquillité ?

Spinette.

Que je vous plains !

Lucrèce.

[Détache ma robe ; onze heures sonnent. De l’eau, que je m’essuie les yeux ;] il va venir, Spinette ! Mes cheveux sont-ils en désordre ? ne suis-je point pâle ? Insensée que je suis d’avoir pleuré ! [Ma guitare ! place devant moi cette romance ; elle est de lui.] Il vient, il vient, ma chère ! Suis-je belle, ce soir ? lui plairai-je ainsi ?

[Une servante, entrant.

Monseigneur André vient de passer dans l’appartement ; il demande si l’on peut entrer chez vous.]

André, entrant.

8Bonsoir, Lucrèce, vous ne m’attendiez pas à cette heure, n’est-il pas vrai ? Que je ne vous importune pas, c’est tout ce que je désire. De grâce, dites-moi, alliez-vous renvoyer vos femmes ? j’attendrai, pour vous voir, le moment du souper.

Lucrèce.

Non, pas encore, non, en vérité !

André.

Les moments que nous passons ensemble sont si rares ! et ils me sont si chers ! Vous seule au monde, Lucrèce, me consolez de tous les chagrins qui m’ob-