Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies I.djvu/397

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rais seul avec le géant. Aussitôt, me jetant sur lui, je le saisis par la jambe droite, et le lançai dans la mer.

Rosemberg

Je frissonne… Le cœur me bat.

Le chevalier

J’avoue que je courus quelque danger ; car, au bruit de sa chute, les soixante eunuques accoururent, le sabre à la main ; mais j’avais eu le temps de me rejeter sur le lit, et paraissais profondément endormi. Loin de concevoir aucun soupçon, ils me laissèrent dans la chambre avec une des femmes de la princesse pour me veiller. Alors, tirant de mon sein une fiole et un poignard, j’ordonnai à cette femme de me suivre, dans le temps que les eunuques étaient tous à souper : Prenez ce breuvage, lui dis-je, et mêlez-le adroitement dans leur vin, sinon je vous poignarde tout à l’heure. — Elle m’obéit sans oser dire un mot, et bientôt les eunuques s’étant assoupis par l’effet du breuvage, je demeurai maître du château. Je m’en fus droit à l’appartement des femmes. Je les trouvai prêtes à se mettre au lit ; mais, ne voulant leur faire aucun mal, je me contentai de les enfermer dans leurs chambres, et d’en prendre sur moi les clefs, qui étaient au nombre de six-vingts. Alors toutes les difficultés étant levées, je me rendis chez la princesse. À peine au seuil de sa porte, je mis un genou en terre : Reine de mon cœur, lui dis-je avec le ton du plus profond respect… Mais, pardonnez, seigneur Rosemberg, je suis forcé de m’arrêter. La modestie m’en fait un devoir.