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plaisirs, et leur préférait la solitude ; il savait combien les illusions sont trompeuses, et il préférait ses illusions à la réalité.] Elle eût été heureuse la femme qui l’eût aimé.

Marianne.

Ne serait-elle point heureuse, Octave, la femme qui t’aimerait ?

Octave.

Je ne sais point aimer ; Cœlio seul le savait. [La cendre que renferme cette tombe est tout ce que j’ai aimé sur la terre, tout ce que j’aimerai.] Lui seul savait verser dans une autre âme toutes les sources de bonheur qui reposaient dans la sienne. Lui seul était capable d’un dévouement sans bornes ; lui seul eût consacré sa vie entière à la femme qu’il aimait, aussi facilement qu’il aurait bravé la mort pour elle. Je ne suis qu’un débauché sans cœur ; je n’estime point les femmes ; l’amour que j’inspire est comme celui que je ressens, l’ivresse passagère d’un songe. Je ne sais pas les secrets qu’il savait. Ma gaieté est comme le masque d’un histrion ; mon cœur est plus vieux qu’elle[, mes sens blasés n’en veulent plus]. Je ne suis qu’un lâche ; sa mort n’est point vengée.

Marianne.

Comment aurait-elle pu l’être, à moins de risquer votre vie ? Claudio est trop vieux pour accepter un duel, et trop puissant dans cette ville pour rien craindre de vous.