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Razetta.

Oui ; et l’on a agi prudemment en ne m’invitant pas à votre noce.

Laurette.

Écoutez, Razetta ; vous savez que je vous ai beaucoup aimé. Si mon tuteur y avait consenti, je serais à vous depuis longtemps. Une fille ne dépend pas d’elle ici-bas. Voyez dans quelles mains est ma destinée ; vous-même ne pouvez-vous pas me perdre par le moindre éclat ? Je me suis soumise à mon sort. Je sais qu’il peut vous paraître brillant, heureux… Adieu ! adieu ! je ne puis en dire davantage… Tenez ! voici ma croix d’or que je vous prie de garder.

Razetta.

Jette-la dans la mer ; j’irai la rejoindre.

Laurette.

Mon Dieu ! revenez à vous !

Razetta.

Pour qui, depuis tant de jours et tant de nuits, ai-je rôdé comme un assassin autour de ces murailles ? Pour qui ai-je tout quitté ? Je ne parle pas de mes devoirs, je les méprise ; je ne parle pas de mon pays, de ma famille, de mes amis ; avec de l’or, on en trouve partout. Mais l’héritage de mon père, où est-il ? J’ai perdu mes épaulettes ; il n’y a donc que vous au monde à qui je tienne. Non, non, celui qui a mis sa vie entière sur un coup de dé ne doit pas si vite abandonner la chance.