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l’âge de vingt ans, sa manière de vivre. Cette déplorable habitude contribua plus que ses autres imprudences au développement de la maladie organique dont il portait le germe. Pendant quinze ans, il résista et n’en fut incommodé que par intervalle. Ce qu’il appelait ses veines de sagesse consistait à rester enfermé, privé d’air et d’exercice, plongé dans une série de lectures, ou étudiant jour et nuit les traités du jeu d’échecs de Labourdonnais ou de Walker, jusqu’à ce qu’enfin, le sommeil désorienté ne voulant plus venir à lui, tourmenté par des insomnies ou par une fièvre nerveuse, il se décidait à sortir de sa chambre ; et quand nous lui reprochions de jouer ainsi avec sa santé et même avec sa vie, ce méchant garçon nous répondait : « J’ai déjà passé l’âge où il m’aurait plu de mourir. » En 1855, les progrès de sa maladie devinrent plus rapides. Il a encore décrit exactement, dans ses derniers vers, l’affreux symptôme qui ne laissait plus d’espoir de guérison, lorsqu’il a dit :

Et dès que je veux faire un pas sur terre,
Je sens tout à coup s’arrêter mon cœur.

Cette sensation de l’arrêt du cœur était le signe certain d’une altération des valvules aortiques ; elle lui donna quelques syncopes très douloureuses ; et puis les souffrances se calmèrent sans qu’on pût dire pourquoi. Les médecins eux-mêmes ne voyaient pas que la mort dût être prochaine, lorsque dans la nuit du 3 mai 1857, son cœur cessa entièrement de battre. Le malade s’éteignit, croyant s’endormir, plus préoccupé des affaires de son frère que des siennes, et faisant des projets avec lui pour un avenir éloigné.