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des plus irréprochables qu’il eût écrits, et, en effet, cette comédie peut soutenir la comparaison avec les plus belles productions de sa jeunesse.

Mademoiselle Rachel ressemblait un peu à ces femmes romaines qu’elle représentait si bien et qui, selon le dire de Plutarque, couraient après les gens heureux. Quand elle vit la fortune des pièces tirées du Spectacle dans un fauteuil, elle courut après l’auteur pour obtenir de lui un rôle. Elle vint le voir, l’invita plusieurs fois à dîner, le pressa de travailler pour elle, et lui écrivit des lettres presque tendres. Il fit mieux que de se rendre : il s’enflamma. Quand il eut employé quelques jours à réfléchir et à consulter, il se décida pour le sujet de Faustine. Pendant ce temps-là, on répétait Bettine au théâtre du Gymnase. Par malheur, cette pièce fut accueillie froidement, et Rachel changea de pensée. Les invitations, les visites, les billets gracieux cessèrent tout à coup ; Rachel ne demanda plus rien et feignit d’avoir oublié son auteur, comme elle l’appelait dans ses lettres. Le premier acte de Faustine était presque achevé. Alfred de Musset, justement blessé, relégua dans un coin ce drame, qu’on trouve à l’état de fragment parmi les œuvres posthumes. Il suffit d’en lire une page pour reconnaître à l’allure passionnée du dialogue et à la vigueur du style que cet ouvrage était inspiré du même souffle que Lorenzaccio. Un caprice d’artiste en a privé le public, et l’on ne sait aujourd’hui ce qu’il faut déplorer le plus, ou de l’inconstance de la grande actrice ou de l’excessive sensibilité du poète. L’auteur de Bettine avait espéré prendre une revanche en s’associant avec Rachel. L’avortement de ce projet acheva de le décourager. Il s’éloigna du théâtre pour la seconde