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Pauline Garcia, âgée de dix-huit ans, arrivait de Bruxelles, et commençait à se faire entendre dans quelques salons. Rachel débutait à la Comédie-Française. Alfred de Musset prit un intérêt extrême aux succès de ces deux jeunes artistes. Quand il vit Rachel attaquée par les feuilletons de théâtre, il s’emporta jusqu’à rompre des lances en sa faveur. Un soir, Roxane invita son défenseur à venir manger chez elle un souper frugal et improvisé, dont tous les détails sont racontés dans une lettre bien connue à laquelle nous renvoyons le lecteur. On ne concevrait pas comment des relations de ce genre n’ont pas produit quelque chef-d’œuvre dramatique, si l’on ne connaissait aujourd’hui l’humeur capricieuse de Rachel et son peu de discernement dans le choix d’un rôle, hors du répertoire de Corneille et de Racine. Ne faut-il pas déplorer aussi la modestie de l’auteur de Lorenzaccio, qui hésitait encore à se croire capable de faire une pièce de théâtre présentable ?

Mademoiselle Rachel obtint pourtant de lui la promesse d’écrire une tragédie. Il y eut un commencement d’exécution, comme on le voit par le fragment de la Servante du roi ; mais cette femme inconstante s’engoua bientôt d’autre chose, et le poète mécontent s’éloigna, car les vrais poètes sont précisément ceux qui ne savent pas se moquer des caprices et qui ont besoin, pour travailler avec plaisir, d’un mobile autre que l’intérêt. Deux ou trois fois en sa vie, Rachel, guidée par un vague instinct, revint à Alfred de Musset et lui demanda un rôle. Malheureusement, la grâce et les séductions qu’elle employa dans ces rares moments de clairvoyance ne servirent qu’à rendre plus choquants et plus désagréables ses soudains revirements d’idées. Ces