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VI

À SA MARRAINE.


Vous avez eu grand tort, madame, de n’être pas venue ce soir au Théâtre-Français. Rosine n’a pas été espiègle, mais elle a été spirituelle et assez coquette, fort coquette même. Il y a eu une sortie charmante. Voici comment : elle vient de lire le billet de Lindor ; l’acte finit ; elle est seule en scène. Le billet lu, et le dernier mot dit, l’actrice n’a plus qu’à s’en aller ; elle s’en va donc. L’orchestre se met à jouer une valse. Or, au lieu de sortir comme on sort, c’est-à-dire de laisser le théâtre vide pour l’entr’acte, voici ce qu’a fait Rosine ce soir :

Elle s’en est allée à pas lents, tenant à la main le billet de Lindor, le relisant, tournant sur la scène, seule, sans mot dire ; cela a duré près de cinq minutes. Le parterre n’a pas bougé ; il a suivi des yeux la demoiselle, qui n’en a pas été plus vite, tournant et relisant toujours, en dépit de l’entr’acte et de l’orchestre. Enfin elle est sortie et on a applaudi. Que dites-vous de cela ? Comme c’est hardi, calculé, affecté et parfaitement vrai ! et comme c’est féminin !