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poésie. Son père, peu satisfait de cette réponse, le força d’entrer comme expéditionnaire dans une maison de banque ; le pauvre garçon se résigna, non sans chagrin, à faire le sacrifice de sa liberté ; mais ce ne fut pas pour longtemps : son père ne tarda pas à reconnaître en lui un poète et ne chercha plus à le détourner de sa vocation.

Pendant ces petits débats de famille, Alfred de Musset consacrait toutes ses soirées aux conversations du Cénacle. Après avoir rempli le rôle d’auditeur, après avoir écouté beaucoup de sonnets et de ballades, il eut l’envie de composer à son tour des ballades et des sonnets. Son premier ouvrage de longue haleine fut Don Paez. M. Antony Deschamps voulut donner une soirée pour en écouter la première lecture solennelle. Depuis sa sortie du collège, l’écolier s’était transformé en dandy ; il arriva vêtu à la dernière mode, portant manchettes retroussées et chapeau à la d’Orsay. L’auditoire était chaleureux et passionné. Don Paez produisit un effet immense, comme nous disions alors. Au moment où le poète récita ce vers :

Un dragon jaune et bleu qui dormait dans du foin,


il fut interrompu par des cris d’enthousiasme. Les mêmes applaudissements frénétiques éclataient toujours à ce couplet du Lever :

Vois tes piqueurs alertes,
Et sur leurs manches vertes
Les pieds noirs des faucons.

En songeant aux transports que ces vers excitaient, je m’étonne encore de la forte dose de bon sens que le jeune