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LE POÈTE ET LE PROSATEUR


Le poète n’écrit presque jamais la réflexion. Le prosateur n’est juste et profond que par elle. Le poète cependant doit la sentir, et plus profondément encore que le prosateur, par cette raison que, pour exprimer son idée, quelle qu’elle soit, quand ce ne serait que pour la rime, il faut qu’il travaille longtemps. Or, pendant ce travail obligé, une multitude de commentaires, de faces diverses, de corollaires, se présentent nécessairement, à moins de supposer un idiot qui rime un plagiat. Ces corollaires sont plus ou moins bons, brillants, justes, séduisants ; ils détournent, ramènent, expliquent, enchantent ; pour le prosateur, ce sont des veines, des minerais ; pour le poète, les reflets d’un prisme. Il faut au poète le jet de l’âme, l’idée mère ; il s’y attache, et cependant peut-il se résoudre à perdre le fruit de la réflexion ? S’il n’a que quatre lignes à écrire, il faut donc que le reste y entre ; de là ce qu’on nomme la poésie, c’est-à-dire ce qui fait penser. Dans tout vers remarquable d’un vrai poète, il y a deux ou