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Le Roi.

Toi, partir ?

Frédégonde.

Toi, partir ?Oui, seigneur, trop de haine et d’envie
Poursuivent en ces lieux mon humble et triste vie.
J’espérais, en perdant un grand rêve oublié,
Trouver l’oubli du moins à défaut de pitié,
Et qu’on pardonnerait à ma grandeur passée,
En voyant la misère où vous m’aviez laissée ;
Je me trompais, — l’amour passe avec la faveur,
Mais la haine est fidèle, et s’attache au malheur.
Jusqu’au bord de la tombe elle poursuit sa proie.
Je sais ce qui les pousse et les remplit de joie,
Ces cœurs, ces lâches cœurs à ma perte animés,
Qui s’appelaient hier mes sujets bien-aimés.
Ma couronne est tombée, et c’est sa marque altière
Qu’on flétrit sur mon front, courbé dans la poussière.
Dans les champs, sur la place, à l’église, au palais,
L’ombre de ma puissance est partout où je vais.
C’est elle qu’on insulte, et mon manteau de reine
Flotte encore à leurs yeux sur ma robe de laine.
C’est ce qui rendit fiers vos valets parvenus,
Ceux qui baisaient ma main marchent sur mes pieds nus.
Qu’importent mes ennuis, mes larmes ignorées,
Par de grossiers travaux mes mains déshonorées ?
J’ai régné sur ce peuple, et c’est assez pour lui ;
Sur l’esclave à loisir il se venge aujourd’hui.
Ainsi s’attache à nous l’ingratitude humaine ;