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Rachel.

Eh bien, qui t’empêche d’aller te coucher ?

Sarah va, en effet, se coucher. Rachel se lève et sort ; au bout d’un instant, elle revient tenant dans ses mains le volume de Racine ; son air et sa démarche ont je ne sais quoi de solennel et de religieux ; on dirait un officiant qui se rend à l’autel, portant les ustensiles sacrés. Elle s’assoit près de moi, et mouche la chandelle. La maman s’assoupit en souriant.

Rachel, ouvrant le livre avec un respect singulier et s’inclinant dessus.

Comme j’aime cet homme-là ! Quand je mets le nez dans ce livre, j’y resterais pendant deux jours, sans boire ni manger !

Rachel et moi, nous commençons à lire Phèdre, le livre posé sur la table entre nous deux. Tout le monde s’en va. Rachel salue d’un léger signe de tête chaque personne qui sort, et continue la lecture. D’abord, elle récite d’un ton monotone, comme une litanie. Peu à peu, elle s’anime. Nous échangeons nos remarques, nos idées sur chaque passage. Elle arrive enfin à la déclaration. Elle étend alors son bras droit sur la table ; le front posé sur la main gauche, appuyée sur son coude, elle s’abandonne entièrement. Cependant elle ne parle encore qu’à demi-voix. Tout à coup ses yeux étincellent, — le génie de Racine éclaire son visage ;