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craignez l’égalité ? Vous n’avez donc, messieurs, jamais compris la situation, au milieu de notre société, de l’homme qui ne possède pas ? vous n’avez pas vu comment sont frappés d’impuissance tous les désirs, toutes les tentations ? Que s’il a une pensée, il ne peut l’écrire ; un projet, il ne peut l’exécuter ! Qu’aujourd’hui, comme au temps des Auguste et des Louis XIV, il faut des Mécènes, et mieux, bien pis, des banquiers ; vous ne savez donc pas qu’en cette société égalitaire, si cet homme pauvre est frappé d’une injustice, il n’en pourra poursuivre le redressement ; que toujours et partout il faut qu’il cède et se taise, heureux s’il peut, au jour le jour, substanter sa vie, malgré toutes les dimes qui frappent encore et toujours le seul travail. Messieurs, dans de telles conditions, l’égalité n’est qu’un mot, et ce mot, fait pour charmer l’oreille populaire, ne doit pas effrayer des esprits sérieux.

Voyons les autres points : La nation est souveraine, tous les pouvoirs émanent du peuple. Sans doute ! sans doute ! Voilà des phrases qu’il faut proclamer dans tous les discours et qui devraient flamboyer au front de tous les édifices, dans toutes les illuminations et sur toutes les banderoles. Eh ! oui, la nation est souveraine, seulement la nation est obligée de confier ses pouvoirs à des mandataires, et, c’est, en vérité, messieurs, bien dur pour vous ! La liberté individuelle est sacrée ! Nous écrirons cela en tête de la constitution, sous le titre de droits antérieurs et supérieurs. La liberté, c’est la loi suprême ; mais après cela vous sentez bien… Ah ! mais le peuple est honnête et ne veut pas de bandits ; il faudra donc bien stipuler que le juge d’instruction, en cas de délit, pourra ordonner l’arrestation préventive. Ai-je besoin de vous démontrer comment ce petit article sauve tout ?

Le peuple est pour les idéalités, les déclarations de principes ; naïvement il croit tout compris et s’en contente. D’ailleurs il ne saisit pas du tout encore où gît la racine de son propre droit, le principe du droit nouveau, et sacrifie volontiers, selon l’esprit du passé, l’individu à l’ensemble. Eh bien ! tout est là ! « Une maille arrachée emporta tout l’ouvrage. » Messieurs, ne marchandons pas avec les goûts du peuple. Donnons-lui la règle, et gardons l’exception.

Nous acclamerons le droit de réunion, saint comme la liberté du peuple ! On comprendra seulement qu’il doive être réglementé par une loi qui en règle l’exercice. Le droit d’association sera placé sous la sauvegarde de la constitution. Ah ! constitution, ma mie, vous en répondrez sur votre tête ! La constitution accepte, mais en faisant observer que les associations contraires à la sûreté de l’État pourront être dissoutes. Comment donc ? Ah ! je le crois bien ! Parbleu ! le peuple tient beaucoup à la sûreté de l’État, il applaudit, et un député de la montagne (car nous aurons une montagne, messieurs, je l’espère bien), un député, dis-je, de la montagne, se lèvera pour observer que celles-là seules devront l’être.

Discussion pour et contre ce mot, garantie profonde assurément, et longs discours, qui passionnent la nation et tiennent l’Europe en suspens. Après quoi, le mot seules est accepté aux applaudissements de la démocratie, et la phrase, ainsi sculptée pour l’ornement des archives de la niaiserie politique, des assemblées et des peuples : les associations contraires à la sûreté de l’État pourront seules être dissoutes.

La liberté de la presse sera absolue ?

Comment donc ? Absolue, comme Dieu ! Mais qui donc voudrait tolérer des attaques infâmes, contre les vérités sacro-saintes qui sont le fondement de tout ordre, contre la famille, la propriété, la religion, les lois, les personnes et les choses ? contre la liberté même !… Oui, messieurs, est-ce vous ? — Non pas. — Ni moi ! — Ni moi ! Tous les honnêtes gens protestent. C’est à qui protestera. On vote donc avec enthousiasme, et aux applaudissements des tribunes, que les excès indignes de toute société civilisée seront réprimés. Comment ? La chose est bien simple. Tout journal devra déposer un cautionnement destiné à répondre des amendes qu’il pourrait encourir. Il ne faut pas d’impunité. Et de plus, comme il n’y a pas de droit sans devoir, la presse, ce grand pouvoir, ne devrait-elle pas concourir aux charges publiques, dans la mesure de ses forces ? Un timbre sur chaque numéro sera donc établi, et d’ailleurs, en échange, l’État, dans une généreuse sollicitude pour les droits de la pensée, consent à abaisser la taxe du port bien au-dessous du taux des lettres. Que voulez-vous de mieux ? La responsabilité de l’imprimeur ? — Oui, car elle parfait l’œuvre. Sur ce point, je le confesse, le gouvernement provisoire, en affranchissant la presse, a eu le tort grave de détruire les dépenses nécessaires à tout pouvoir moins naïf. Nous les rétablirons, mais nous ne pourrons le faire, messieurs, songez-y bien, qu’en criant sur les toits que la presse est libre, libre absolument !

Eh ! tous, tous les fonctionnaires, tous les directeurs de l’État seront responsables ! Seulement il va sans dire qu’une nation ne peut laisser insulter ceux qu’elle a commis à la garde de ses libertés et de ses lois. La dignité de la nation, messieurs !… (Vifs applaudissements.) Il va sans dire qu’il ne peut dépendre du premier venu de faire descendre sur la sellette des accusés ces magistrats publics, ces hommes honorables qui protégent l’ordre, les mœurs, la sécurité publique, et d’entraver à tout propos leur action. Les fonctionnaires seront donc responsables, seulement il faudra pour les poursuivre en obtenir l’autorisation.

De qui ? D’eux-mêmes, parbleu ! ou de ceux qui les font agir, ce qui revient à la même difficulté ; mais on gazera la chose quelque peu. Autre exemple : le domicile est inviolable. Ajoutez : aucune visite domiciliaire net peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu’elle prescrit. Ce sous-paragraphe n’a l’air de rien, personne n’y fait attention. Le principe, le beau principe étalé au premier rang suffit à la foule ; le reste n’est que grimoire légal, et le citoyen français se respecte trop pour entrer dans l’examen des lois qui le régissent c’est affaire d’avocats et de procureurs ! De même, nul ne pourra être arrêté et détenu, hors le cas de flagrant délit, qu’en vertu d’un mandat judiciaire. Garanties expresses, comme vous le voyez, qui ne vous empêcheront nullement d’empoigner dans la rue qui vous plaira, pourvu qu’il y ait attroupement ; car, à la première occasion venue, il faudra faire une loi contre les attroupements.

On a aboli la peine de mort en matière politique ; mais qui empêche de la rétablir en considérant le combattant comme un assassin, dès qu’il a donné la mort et que sa cause n’a pas triomphé ? En politique, voyez-vous, c’est l’interprétation qui sauve, c’est la restriction qui est tout. La passion, la peur, l’irréflexion des masses, font le reste. Ah ! messieurs, vous vous défiez du peuple, vous êtes bien ingrats !

Ces conseils de Maxime rétablirent la confiance, et dès le e premier jour groupèrent autour de lui un parti nombreux, qui se fit un devoir de le consulter et de le suivre. Brafort, il va sans dire, fut au nombre des plus fidèles. Il tint cependant à honneur d’être plus qu’un chiffre dans cette cohorte, et, comme nous l’avons dit, voulant s’affirmer par ce qu’il considérait être comme le premier devoir d’un député, il alla trouver un monsieur Verbaut, renommé comme professeur de déclamation et d’éloquence.

Monsieur Verbaut avait blanchi sous le harnais. Après avoir regardé Brafort avec attention :

— Monsieur, lui dit-il, le secret de l’art oratoire est, comme en beaucoup d’autres choses, celui de Danton : de l’audace ! de l’audace ! Et je ne dis pas que cela suffise à produire les chaînes d’or avec lesquelles Mercure enchaînait ses auditeurs ; mais cela néanmoins met en relief toutes les ressources de celui qui parle, et prend