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tout cela plus tard, et son traitement d’ailleurs l’y aiderait.

Une autre dépense à laquelle il se livrait, c’était une affabilité générale qui succédait sans transition à sa morgue habituelle. Aussi disait-il à chacun un mot aimable, lourd ou léger, peu importe, la bonne intention y était. Ainsi adressait-il aux mères et aux jeunes filles de galants compliments, caressait-il les enfants, flattait-il les chiens. Aux hommes du peuple, il parlait de certaines réformes nécessaires, les interrogeait sur leurs besoins et promettait de s’en occuper, — assez vaguement, il est vrai ; — mais le mystère sied bien aux méditations des hommes supérieurs.

Obligé par son rôle de candidat d’émettre des opinions politiques et de prononcer des sortes de petits discours, Brafort en avait d’abord éprouvé quelque embarras, puis il avait fini par s’acclimater dans cette phraséologie particulière ; si bien qu’au bout d’une quinzaine, il débitait avec facilité des considérations à perte de vue sur l’état des choses, où revenaient incessamment ces formules : prospérité dans la paix, ordre dans la liberté, républicain de la veille et républicain du lendemain ; religion, famille, propriété ; satisfaction de tous les intérêts, heureuse harmonie. Cette heureuse harmonie était pourtant un pêle-mêle de choses tout étonnées de se rencontrer. C’était le mariage, tant célébré depuis, de l’autorité avec la liberté, c’était le respect de la religion et la liberté de penser, l’extension du commerce et l’accroissement des tarifs, l’armée présidant à la paix, la magistrature à la justice, l’administration à l’égalité, et la Providence planant sur tout cela. Au retour des excursions électorales, Brafort se trouvait de plus en plus enchanté de lui-même et disait à sa femme. naïvement :

— C’est singulier, jusqu’à présent, je pouvais dire mon mot comme tout autre ; mais enfin je n’étais pas orateur. Eh bien ! tout dépend de l’habitude, l’éloquence comme le reste. Maintenant je puis parler sur les questions politiques aussi longtemps qu’on voudra. Les mots, ce qui est l’essentiel, m’arrivent avec abondance. Je ne désespère pas de faire à la Chambre un petit discours. Tu verras.

Le 23 avril approchait, et, de plus en plus absorbé dans la pensée de son élection, Brafort oubliait tout autre soin. Un jour qu’il se rendait à Douai, toujours pour le même motif, Maximilie voulut l’accompagner. Elle désirait voir une amie, fille d’un conseiller à la cour, et comme elle nouvellement mariée. Ils partirent donc ensemble, Brafort heureux d’avoir sa fille avec lui comme autrefois ; la jeune femme nonchalante et un peu rêveuse, comme elle l’était depuis son mariage. Était-ce du chagrin ? était-ce du bonheur ? Quoi qu’il en fût, cela lui allait bien comme toute chose, et le père ne pouvait s’empêcher de l’admirer, élégante et gracieuse, à demi-ployée sur les coussins. C’était une véritable grande dame vraiment, et sa fille à lui ! Il avait raison, la beauté a toujours des grâces seigneuriales, et toute femme à dix-huit ans ne peut-être moins que baronne. Ils causèrent à bâtons rompus.

C’était la première fois depuis longtemps qu’ils avaient un si long tête-à-tête, et Brafort crut devoir en profiter pour s’assurer un peu du bonheur de Maximilie.

— Eh bien ! petite, es-tu contente du mari qu’on t’a donné ?

La jeune femme rougit, se rejeta au fond de la voiture, et balbutia une phrase évasive. Devant cet émoi, Brafort se crut autorisé à faire entendre un rire goguenard ; mais, comme il la pressait davantage, elle fondit en larmes.

Surpris ou plutôt mécontent, il demanda le motif de ce chagrin.

Oh ! mais, elle ne savait pas ; rien du tout elle avait seulement les nerfs un peu malades.

Il ne la pressa pas davantage et se contenta de hausser les épaules en disant :

— Voilà bien les femmes ! C’est gentil, mais cela n’a pas le sens commun.

À Douai, où ils devaient passer deux jours, Maximilie logea chez son amie. Le père de celle-ci, le vieux conseiller, vint le soir. On parla de la cour d’assises, alors en exercice dans la ville, et le magistrat raconta. un fait assez singulier qui venait de se passer à propos de l’affaire pendante, un infanticide. L’accusée, malgré son forfait, était intéressante.

— Horreur ! s’écria la jeune maîtresse de la maison, madame Hélier. Une créature capable de tuer son enfant peut-elle exciter le moindre intérêt ?

Sentence qui fut aussitôt confirmée par Maximilie.

— Mesdames, dit le conseiller, vous avez raison au point de vue des principes ; mais cela n’empêche, — le diable défend les siens, — que la jeune fille n’ait des yeux à perdre les âmes, et un air touchant qui séduit, quoi qu’on en ait. Mais voici le roman : elle semblait résignée et ne se défendait pas ; on lui avait nommé un avocat d’office, quand se présente un jeune homme, venant, dit-on, de Paris, qui n’est point avocat, et qui cependant, après une entrevue avec l’accusée, s’est fait inscrire pour la défendre.

— Cela est permis ? demanda Brafort.

— Oui, l’accusée peut choisir qui lui plaît pour sa défense, même en dehors du barreau, et le président, à moins de circonstances particulières, autorise toujours cette demande. Vous pensez que maintenant on se livre à toutes sortes de suppositions à l’égard du jeune homme. Serait-ce l’amant ? En pareil cas, l’amant se cache. Ce n’est pas le frère ; on ne m’a pas dit son nom ; mais on assure que c’est un jeune homme comme il faut, et l’accusée n’est qu’une ouvrière. Il y a là-dessous un mystère qui excite fort les imaginations, et les belles curieuses de notre ville se donnent rendez-vous demain à l’audience.

— Eh mais, nous voulons y aller aussi, s’écria madame Hélier.

— Certainement, dit Maximilie.

Il fut convenu que le conseiller assurerait des places à ces dames et à Brafort. Celui-ci fut embarrassé. L’idée de Baptistine, qu’il avait complétement oubliée, lui revint alors. Cette accusée si intéressante, si c’était elle ! Qu’était-elle devenue ? Morte à l’hospice ou traînée à la cour d’assises ? Il ne savait, il avait si occupé. Cependant il n’osa refuser, et puis, quand ce serait vraiment Baptistine, qu’importe ? Il ne courait aucun risque, pas même, perdu dans la foule, celui d’être reconnu par l’accusée. Enfin c’était un spectacle, et il les aimait. Ils se trouvèrent donc ensemble le lendemain. Brafort, les deux jeunes femmes et le conseiller, dans la salle des assises, à la place la plus honorable, c’est-à-dire derrière le président, et faisant en quelque sorte partie du tribunal.

Brafort n’avait pas prévu ce détail et faillit perdre contenance quand l’accusée fut amenée devant lui. C’était en effet Baptistine, abattue, décolorée, mais, comme l’avait dit le magistrat, profondément touchante. Chose étrange ! ce malheur, qui était un crime, l’avait idéalisée. Elle semblait une victime et non point une coupable. Ses grands yeux rêveurs habitaient un autre. monde, et quand, interrogée, elle les portait sur le tribunal, on eût dit qu’elle les abaissait. Décente et digne dans son attitude, on l’aurait crue indifférente à son sort ; mais par moment une flamme animait son regard, une émotion presque pieuse se peignait sur sa figure, quand elle se penchait pour parler à quelqu’un assis derrière elle. C’était probablement son défenseur, que le dos énorme d’un huissier dérobait à la vue de Maximilie et de son père.

Tous les témoins avaient été entendus. Le procureur général se leva. C’était un gros homme à double men-