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— Que t’importe ? L’aimerais-tu moins, s’il portait un autre nom ?

— Je l’aimerais autant ; mais je suis bien aise qu’il soit noble, et je voudrais qu’il fût comte, marquis, duc, afin d’être supérieur en tout à monsieur de Labroie.

— Enfant ! Mais à ta place je découragerais ce baron ; car, si ton père…

— Bah ! je dirais à papa que je ne l’aime pas, voilà tout.

Et Maximilie paraissait si insoucieuse des suites d’un pareil incident que Jean, lui aussi, se rassurait. Bientôt ces espérances furent exaltées par une excellente nouvelle : Georges venait d’être nommé ingénieur en chef du chemin de fer de Lyon-Mediterrannée. C’était une place de dix mille francs. Il le devait à l’un des administrateurs de la compagnie, ancien ami de son père. Ivre de joie, Georges annonçait son prochain retour à R…, où il voulait solliciter lui-même la main de Maximilie et préparer la démarche officielle de sa mère.

Il vint, fut reçu cordialement par Brafort et, sur l’annonce de sa position, avec une considération toute nouvelle. Après un rapide, mais délicieux tête-à-tête des deux amants, Georges risqua sa demande. Brafort parut embarrassé, indécis ; il remercia de l’honneur…, protesta de ses sympathies pour Georges, exprima gauchement le regret qu’il n’eût pas avec sa place une fortune toute faite, et finalement déclara que sa fille était bien jeune. et qu’il ne pouvait encore… Enfin un refus poli. Ce fut vainement que Georges insista. Au travers des réticences de Brafort, il lui sembla démêler des visées secrètes, encore incertaines. Désespéré, au sortir de cet entretien, le jeune amant, sous prétexte d’aller prendre congé de madame Brafort, courut près d’elle dans le fol espoir de trouver en elle un appui. Aux premiers mots de sa confidence, Eugénie se trouva mal. Georges appela Maximilie, qui faisait semblant d’étudier son piano dans la pièce voisine, accourut.

— Votre père a refusé, lui jeta Georges, tout pâle. Elle poussa un cri, lui laissa sa mère entre les bras, et courut trouver son père, qu’elle rencontra dans le corridor.

— Papa, s’écria-t-elle, j’aime monsieur Georges d’Eriblac, et je mourrai de chagrin, si je ne suis pas sa femme.

Brafort faillit suffoquer.

— Mademoiselle, dit-il avec majesté, montez à votre chambre, et restez-y jusqu’à ce que je vous permette d’en descendre.

Et comme elle n’obéissait pas à cet ordre, pleurant, suppliant, répétant qu’elle aimait Georges et ne serait jamais la femme d’aucun autre, son père, enflammé de colère, la prit par le bras, lui fit monter l’escalier, et la renferma dans sa chambre, dont il prit la clef. Quand il redescendit, Eugénie reprenait ses sens. La présence des domestiques empêcha Brafort d’éclater en reproches à l’égard de Georges, et presque aussitôt, le jeune homme au désespoir dut partir.

On devinerait difficilement peut-être la cause de la pâmoison de madame Brafort, si elle-même ne s’était hâtée de l’expliquer à son mari, dès que, — après avoir versé d’abondantes larmes, — elle fut en état de parler. C’était un saisissement causé par l’affection maternelle, à l’idée que sa fille pouvait déjà se séparer d’elle et porter ailleurs sa tendresse. L’âme des femmes inoccupées a de ces violences de sentiment bien respectables ! Eugénie cependant resta fidèle à ses habitudes de rêverie solitaire et à son rôle effacé, pendant toute la crise dont cet épisode ne fut que le début. On la vit pleurer silencieusement, elle eut même la fièvre et garda la chambre ; mais on ne la vit point embrasser sa fille et rechercher ses confidences, ni s’efforcer de la consoler ou de la ramener à d’autres résolutions. Elle sentait sans doute son peu d’influence ; les enfants, — individus ou nations, — se rangent toujours instinctivement du côté de la force, et Maximilie accordait bien à sa mère son affection, mais sa confiance nullement. Favorite de son père, elle avait même beaucoup contribué, sans y penser, à abaisser de plus en plus le rôle de sa mère, et c’était elle qui, dans la plupart des cas, gouvernait par délégation, selon la logique des monarchies, comme tout favori de roi.

Madame Brafort, quel que fût son motif, laissa donc aux prises ces deux pouvoirs, sans essayer de s’entremettre dans leurs discussions. Jean fit de même dans l’intérêt des deux amants, car il savait bien qu’en plaidant leur cause il l’eût perdue. Il obtint même de Georges qu’il retournât immédiatement à Paris. C’était Maximilie qui devait soutenir la lutte, elle seule pouvait le faire avec avantage. Elle y était résolue, et put, grâce à l’entremise de Jean, envoyer à Georges les assurances répétées d’un amour éternel.

Il s’agissait maintenant de savoir qui l’emporterait de cette enfant gâtée, mais jusque-là soumise, ou de ce père, aussi pénétré que le fut oncques patriarche, du sentiment de son droit absolu. Maximilie pour elle avait l’amour ; mais Brafort avait la foi, et, l’histoire de toutes les religions l’atteste, le dogme est l’adversaire presque toujours triomphant du sentiment. Maximilie, grâce à la tendresse que son père avait pour elle, pouvait, il est vrai, le faire souffrir, et, sentant cela comme tous les enfants, elle n’avait garde d’y vouloir manquer ; mais Brafort d’autre part, avait son héroïsme, et une fois déjà il avait montré qu’il pouvait tout sacrifier pour l’honneur. Or, comme père, son honneur était de ne point céder ; comme industriel et comme parvenu, son désir, son orgueil, étaient de marier sa fille à un millionnaire titré.

L’un et l’autre s’engagèrent dans la lutte résolûment, avec une tension d’autant plus ardente qu’au fond tous deux la redoutaient. Maximilie se confina volontairement dans la chambre où son père l’avait renfermée, refusa sa liberté, renvoya les aliments qu’on lui fit porter, et ne répondit aux reproches, aux menaces et aux objurgations de son père que par la déclaration répétée de son amour éternel pour Georges. Brafort fut sublime :

— Et moi, je t’ordonne de ne plus l’aimer !

— Tu ne peux rien sur mon cœur, répondit-elle.

Rien n’irrite le despotisme plus qu’un tel défi, qui touche le point vulnérable. C’est alors qu’il frappe, furieux, le corps palpable et sensible, espérant atteindre la flamme secrète qui brûle dans ses profondeurs. Tout despote contient un brutal. Maximilie sentit la main paternelle, si douce auparavant, la briser et la meurtrir. Il s’ensuivit une scène d’une violence extrême, où furent échangées des paroles cruelles.

— Je la tuerais ! s’écria Brafort en s’enfuyant, et l’enfant demeura brisée, aveuglée de larmes, suffoquée de sanglots, se disant, ce qu’on dit si facilement quand on est jeune, qu’elle voulait mourir.

Comme un autre terrain, l’instinct humain fournit, selon la semence, telle ou telle végétation. La dépendance y produit la ruse, comme ailleurs de l’humidité naît la moisissure. On accuse la femme d’être rusée ; elle ne saurait ne pas l’être ; mais, à moins de dispositions spéciales cependant, les ruses de la jeune fille sont naïves comme elle, et aussi peu expérimentées. Maximilie à l’ordinaire savait à merveille, par ses caresses et ses boutades, dérider le front de son père, lui arracher un consentement, réaliser, ébaucher du moins cet idéal de domination par la grâce et par l’attrait, offert à la femme. Dans l’amour dans la confiance, cela lui était facile, et, à l’égard de l’autorité paternelle, au fond si tendre, presque naturel ; mais, quand elle se vit si rudement frappée dans son amour, dans sa personnalité, elle n’éprouva plus que ressentiment, indignation, et n’imagina rien, dans l’exaltation de ses sentiments, que de l’emporter de haute lutte.

C’était faire fausse route absolument, vu le caractère