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troduction, ce qui était bien net après une conversation si peu claire.

Georges et Maximilie n’y parurent pas faire attention, et l’on parla des étoiles qui se montraient. En voyant arriver son cousin, Maximilie s’était levée, puis rassise ; elle se trouvait maintenant placée entre eux, et de l’allée on pouvait la distinguer dans l’ombre, à côté de Jean ; tandis que Georges, dont les vêtements étaient sombres, placé de l’autre côté, disparaissait entièrement dans les teintes brunes du feuillage.

— Johann ! cria de l’allée une voix impérieuse.

— Je suis ici, mon oncle, répondit Jean, et il se leva.

— C’est parce que je vous vois que je vous appelle, reprit la voix mécontente de Brafort, qui entre ses dents. grommela pendant le temps que Jean mit à se rendre près de lui :

— Toujours ensemble ! et seuls encore !

Puis il dit brusquement à son neveu :

— J’ai à te parler, et il l’entraîna, lui parlant en effet du projet qu’il avait formé d’attacher Jean, en qualité d’ingénieur, à sa fabrique, où il sentait le besoin d’introduire de grandes améliorations. Mais il fallait que ce fût, bien entendu, avec une responsabilité, et, comme Jean n’en avait aucune, il fallait qu’il se mariât, et Brafort, se chargeant jusqu’au bout du bonheur de son neveu, se faisait fort de lui trouver, d’ici à quelques mois, une dot convenable…

Tandis que Jean déclinait doucement ces propositions, que Brafort, soupçonneux, le pressait d’admonestations, et s’évertuait à le séparer de sa fille dans le présent comme dans l’avenir. Georges et Maximilie, restés seuls, s’expliquaient enfin. Honteux de sa timidité, qui lui avait fait perdre la première occasion ménagée par son ami, Georges résolut de ne point laisser échapper la seconde, que lui ménageait le père lui-même, et lorsqu’après le départ de Jean la jeune fille se leva aussi, il osa saisir sa main et la retenir près de lui.

On entendait encore les pas et les voix de Brafort et de Jean qui s’éloignaient. Ce fut tout bas que Maximilie tremblante demanda :

— Que me voulez-vous, monsieur Georges ?

Du même ton, il la supplia de l’écouter. Elle se rassit.

— Maximilie, dit-il si ému que sa voix éclata malgré lui.

— Oh ! prenez garde ! dit vivement la jeune fille ; il ne faut pas que mon père sache…

— Que je vous aime !… murmura-t-il en s’agenouillant devant elle.

Elle voila ses yeux de sa main, toute éperdue : mais l’autre main resta dans celle de Georges, et, quoique frémissante, ne chercha point à se retirer.

— Maximilie, dit-il, il faut qu’en ce moment nous ayions un entretien sérieux et décisif pour toute notre vie, pour la mienne du moins. Tout à l’heure je voulais partir, c’est Jean qui m’a retenu.

— Partir ! interrompit-elle. Vous vouliez partir ! Oh ! pourquoi ? Mais vous ne m’aimez donc pas ?

Et toute l’émotion qu’elle éprouvait s’épancha en un flot de larmes douces et pures comme la rosée qui tombait.

Georges eut peine à ne la point serrer dans ses bras ; mais il s’était promis de la laisser libre non-seulement dans sa foi, mais dans sa pudeur, et Georges avait la religion de la loyauté.

— Ah ! chère… lui dit-il, je vous aime… mille fois trop peut-être… car vous êtes bien jeune, Maximilie, et je ne suis pas sans doute le gendre que désire votre père. À cause de cela, s’il ne se fût agi que de moi, je serais parti, malgré Jean, malgré moi-même ; mais… j’ai cru, mille fois bonne et chère Maximilie, j’ai pu craindre de vous causer une douleur, de vous laisser le souvenir amer d’une ingratitude, et voilà pourquoi j’ai voulu vous parler ce soir et vous dire que mon rêve d’amour, mon espoir, ma joie profonde, seraient de vous avoir pour femme. Je vais joindre mes efforts à ceux de ma mère, la meilleure et la plus divine des mères, Maximilie, pour obtenir une position qui satisfasse votre père. Alors seulement je reviendrai. Sera-ce dans six mois, dans un an, dans deux ou trois… je ne sais, hélas ! mais je vous jure que mon amour restera le même, et que vous pouvez compter sur moi aussi longtemps qu’il vous plaira de m’attendre. Quant à vous, Maximilie, je ne vous demande aucune promesse. À dix-sept ans, et sous l’influence de parents qu’on aime, il est téméraire de s’engager. Donc, si votre père vous présentait un parti qui flattât mieux votre orgueil, ou si vous ressentiez pour un autre ce que vous croyez maintenant éprouver pour moi.

— Oh ! monsieur Georges, dit-elle vivement, vous me traitez en enfant : c’est bien mal. Et puis un enfant même ne peut-il savoir aimer ? Demandez à Johann si je suis changeante. Oh ! croyez en moi ! Si vous saviez ? murmura-t-elle avec un geste vif et charmant, oh ! si vous saviez ?…

Elle s’arrêta confuse, puis se leva, et, tandis qu’il la suppliait d’achever, elle restait, le front penché, cachant sa rougeur dans l’ombre.

— Vous le savez très-bien, balbutia-t-elle.

— Mais j’ai besoin de l’entendre, lui dit-il avec passion.

Elle hésita un instant ; puis, murmurant : « Demain ! elle lui serra la main doucement et s’enfuit.

Lui resta encore quelque temps dans cette ombre qui. l’avait touché et qui s’épaississait autour de lui sans pouvoir lui rien cacher des détails de ce lieu béni et de la scène qui venait de s’y passer. Tout cela flamboyait dans son souvenir ; tout en lui n’était que joie et lumière. Il éprouvait des transports de reconnaissance pour Maximilie, il se sentait fièrement heureux de s’être donné sans exiger de serment. Cependant il croyait de toute son âme à l’amour de cette enfant, à leur avenir. Ce n’était plus ce jeune homme sage et réfléchi qui tout à l’heure démontrait à Jean la folie, les dangers, les travers inévitables d’un tel amour ; il ne doutait plus du succès. Qui donc pouvait résister aux prières de Maximilie ? Elle aimait. L’amour, c’est la force ; il le sentait bien en lui. Et maintenant il brûlait d’agir ; il eût voulu s’élancer à l’instant même dans cette voie qu’il devait frayer afin de revenir plus promptement à elle et de ne plus la quitter. Il sortit brusquement de sa retraite, suivit presque en courant l’allée, et rencontrant son ami près de la maison, se jeta dans ses bras en s’écriant :

— Je pars demain !

— Elle ne t’aime pas ? dit Jean avec surprise et douleur.

— Elle m’aime ! Je suis bien heureux, et si je brûle de partir, c’est pour avancer le jour de notre union. Georges cependant ne voulut point annoncer son départ, sans avoir prévenu Maximilie, et, comme elle trouva cet empressement détestable et demanda quelques jours, il se laissa aller au charme de lui obéir et de l’adorer. C’était une belle et noble nature que celle de Georges autant son intelligence était vive, autant. son cœur était passionné. Fils d’un père qui avait consacré sa vie aux idées, d’une mère dont la droite raison n’était égalée que par sa bonté, il avait reçu pour héritage naturel l’amour des grandes choses, des sentiments chevaleresques, le besoin de se dévouer. L’amour de sa mère et l’amitié de Jean, dont il sentait tout le prix, pourtant lui laissaient au cœur une vague inquiétude, un vide que Maximilie combla ; il savourait maintenant cette plénitude, et son âme débordait de joie et d’adorations.

Jean n’était guère moins heureux. Chaste comme une jeune fille et confiant en son ami, il protégea cet amour de tout son pouvoir, et couvrit à distance les tête-à-tête