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Dès lors, Charles de Labroie et Jean s’étaient vus de temps en temps, les jours de sortie, et une correspondance active s’était établie entre eux. Les croyances et les idées de monsieur de Labroie trouvèrent dans les aspirations de Jean un terrain tout préparé, et ce fut avec passion et religion tout ensemble que l’enfant se précipita dans cette voie, que lui avait tracée le martyre de ses parents.

Les premières années de collége de Jean n’avaient pas été brillantes. Rebuté par la sécheresse de l’enseignement, habitué déjà à se renfermer en lui-même et à remplacer la réalité par le rêve, il étudiait nonchalamment et n’obtint pas un succès. Mais un discours que lui fit son oncle à ce sujet changea tout de face. Le discours précité se résumait en trois points principaux, conforme sur ce point aux grands principes oratoires.

1° Tu es mon neveu, donc tu dois être intelligent, et tu as pour devoir d’être le premier ;

2º Tu es élevé par mes bienfaits ;

3° Donc, en n’étant pas le premier, tu fais acte de l’ingratitude la plus noire.

Jean sentit la justesse de ce raisonnement, et tout d’abord hésita entre deux partis : quitter la maison de son oncle pour celle de Charles de Labroie, ou bien partir pour un pays inconnu, où il gagnerait son pain à la sueur de son front. Cependant il n’avait que douze ans à peine ; il était maigre, fluet, et le premier mouvement de tout chef d’emploi devait être de le refuser sur sa mine. D’autre part, son ami, qui était pauvre, ne pouvait le recevoir, au mépris de la loi et de son tuteur. Jean courba sous la nécessité son front rougissant ; mais, à partir de ce jour, il se prit à lutter avec acharnement contre les aridités de l’étude, et, comme il était en effet très-intelligent, parce que ou quoique neveu de Brafort, il fit dès lors de grands progrès, et ce qui était l’essentiel pour ses parents, il eut des prix. On commença dés lors à l’estimer un peu ; sa tante fut moins sèche pour lui ; son oncle déclara qu’il ne regretterait ni ses soins ni son argent, si ce garçon-là voulait faire honneur à la famille, et Maximilie, qui avait quelque peu subi les préventions de son père et de sa mère à l’égard de son cousin, fut enchantée de ses succès.

Cette petite fille, quoique très-gâtée et pourvue d’abondants caprices, était aimante, et le montrait quelquefois par des élans de cœur très-intermittents, mais généreux, pour lesquels Jean lui voua une sincère tendresse. Malgré la différence d’âge qui les séparait, ils se lièrent de plus en plus d’une amitié fraternelle ; à cette époque de l’adolescence, où le sentiment s’éveille et s’épanche avec tant de naïveté, Maximilie fut très-expansive pour son cousin ; il est vrai que dans l’absence, elle ne lui écrivait guère, n’aimant point à écrire ; mais elle lui brodait des pantoufles, lui peignait des porte-monnaie ou lui tricotait des bourses, et, quand les vacances avaient ramené Jean à R…, on la voyait le chercher sans cesse, se pendre à son bras, le taquiner, le consulter en mille choses, le combler de naïves caresses et babiller avec lui.

Était-ce l’affection un peu curieuse d’une sœur pour le frère plus âgé qu’elle et différent d’éducation et d’habitudes, affection par laquelle la jeune fille semble préluder à une autre étude, à un autre amour ? ou bien était-ce l’amour lui-même ? Brafort ne s’arrêta qu’à cette dernière supposition et en fut très-effrayé. Quand il n’était encore que garde municipal, il avait dit à sa femme à l’égard de Jean :

— Nous lui donnerons un bon état, et il sera le protecteur, pourquoi pas le mari ? de Maximilie.

Mais les choses avaient bien changé ! Brafort maintenant rêvait pour sa fille un parti riche et brillant. Aussi ne recula-t-il pas devant la pensée de rompre le touchant accord de ces deux enfants, et d’étonner leur innocence par des précautions blessantes. Maximilie protesta bruyamment, mais vainement. Jean ressentit avec amertume l’affront fait à sa fierté.

cette époque cependant (il approchait de sa vingtième année), adouci par la philosophie indulgente et supérieure du vicomte de Labroie, il commençait à comprendre l’écrasante bonne foi de son oncle, et ne portait plus ses jugements à l’extrême comme autrefois. Il s’attacha donc à être prudent à l’égard de sa cousine, sans cesser d’être affectueux, et souvent c’était avec une douceur fraternelle, qui seyait étrangement à sa jeunesse, qu’il grondait lui-même et restreignait la vivacité mutine et provocante de Maximilie. Cela n’empêcha pas que Brafort ne continuât d’observer leurs rapports avec inquiétude.

Jean et son fidèle ami Georges, après avoir passé ensemble leur baccalauréat, étaient entrés ensemble à l’École centrale, d’où ils venaient de sortir l’un et l’autre, en cette année 1817, avec le diplôme d’ingénieur civil, Brafort informé des attentions que madame Dériblac avait eues pour Jean, et de l’étroite amitié des deux camarades, avait invité Georges à venir passer les vacances à R… On recevait, à cette époque de l’année, beaucoup de monde chez Brafort, et un jeune homme de plus ou de moins ne comptait pas. Nous n’oserions assurer que l’apostrophe du nom de d’Eriblac ne fût pour quelque chose dans l’invitation. D’ailleurs la gaieté, l’entrain, la belle tournure de Georges plurent à tout le monde. Madame Brafort elle-même eut pour lui des attentions marquées. Il était aimable ; doux autant que pétulant, poli et prévenant près des femmes, sans galanterie. Ce garçon-là était gâté par la nature. Il n’y eut que Maximilie qui sembla peu s’occuper de lui ; en revanche, elle se plut à combler son cousin plus que jamais d’agaceries.

— Heureusement, ils n’ont plus de tête-à-tête, se dit Brafort, que la présence de Georges rassurait, tant cette préoccupation dont il était saisi à l’égard de Jean écartait toutes les autres.

Il recommanda à sa femme de suivre partout Maximilie, et madame Brafort se conformant à cette recommandation avec une docilité exemplaire et rare, il en résulta que ces quatre personnages ne se quillèrent point, et que soit dans le pare, soit à la promenade, à cheval ou en voiture, du matin au soir, une intimité charmante s’établit ; cependant cette intimité resta toujours assez contenue entre Georges et Maximilie. Celle-ci jasait plutôt avec son cousin : tandis que la mère prenait volontiers le bras de Georges et entamait avec lui des conversations confidentielles et poétiques, où elle parlait à ce jeune homme de ses rêves de jeune fille, et même de son mariage, tout cela en soupirant.

Eugénie avait cessé depuis longtemps de pleurer la ville de Paris ; on ne saurait toujours verser des larmes. Une crise de chagrin seulement l’avait reprise, à l’occasion du mariage de Maxime, qui épousait la fille d’un pair, et la raison de ce chagrin, celle du moins que madame Brafort alléguait à son mari, c’est qu’elle n’avait point été invitée, et que c’était mal d’un ancien ami.

Peu à peu, madame Brafort avait contracté des liaisons assez étroites avec des dames de la ville ; elle avait fini par s’intéresser vivement aux nouvelles locales, elle s’était enfin habituée au séjour de R… Elle était loin d’être insensible aux jouissances du luxe et de la toilette. Elle était heureuse de voir sa fille assurée d’un bel avenir. Dans les premiers temps de sa fortune, en songeant aux fatigues et aux privations passées, elle éprouvait la joie du noyé qui s’éveille sur le rivage. Mais, s’il existe des biens négatifs, le premier de tous est la richesse, lorsqu’elle n’est pas jointe à l’indépendance. Quand le luxe qui l’entourait eut perdu pour elle ses premières saveurs, madame Brafort se trouva seule en face de jours longs et vides. Elle était incapable d’élever sa fille, qui bientôt lui fut enlevée pour le couvent. Elle ne savait pas s’occuper l’esprit. Petites ou grandes