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maintenant de soupirer, il fut superbe à défier les propos. Et ma foi, dès le lendemain, il tutoyait rondement sa femme qui, si peu exigeante qu’elle fût, en rougit, et même en pleura secrètement. Enfin, tout se passa selon les us et coutumes du bon vieil esprit français, un peu plus naïf alors dans la forme qu’aujourd’hui.

Ce serait manquer au devoir d’un biographe consciencieux, si nous négligions ici de rapporter un épisode que Brafort nous a plus d’une fois raconté lui-même, à propos de sa confession. On sait que la confession est obligée pour le mariage à l’église.

Il y avait déjà près de dix ans que la piété de Jean-Baptiste avait été si subitement refoulée par un marché onéreux conclu avec l’église, à l’instigation d’un vicaire. Depuis ce temps, il avait cessé toute pratique et professait les opinions libérales du temps en matière de religion. C’est-à-dire que tout en déblatérant contre la superstition, il se piquait de rendre à l’église le respect da aux puissances de ce monde : que traitant les dogmes d’inventions stupides, il n’en croyait pas moins à l’utilité du culte officiel, et eût regardé comme fou qui en eût demandé la suppression. Avec tout le reste de la France, il s’indignait lorsqu’un prêtre refusait d’arroser d’eau bénite le cercueil d’un hérétique ou d’un comédien, et l’enterrement civil lui semblait un déshonneur infligé aux cendres du mort. Il se moquait souvent de la crédulité des femmes ; mais une femme sans culte lui eût fait horreur et il n’eût, à aucun prix, souffert chez la sienne pareille excentricité. Il déblatérait contre les prêtres et leurs jongleries, mais le bon curé de Béranger l’attendrissait jusqu’aux larmes. Il chantait, — pas trop haut, mais avec beaucoup d’enthousiasme, — le Dieu des bonnes gens et la Sœur de charité ; mais, pour rien au monde, ayant des enfants à élever, il n’eût manqué de leur faire apprendre le catéchisme. On était alors en 1828. Combien sont-ils de nos jours ceux qui pourraient jeter la pierre à cet honnête homme ?

Pour en revenir à la confession, ce fut pour Brafort une grande affaire.

« On m’indiqua, racontait-il, un prêtre, brave homme, religieux sans bigotisme, bienfaisant par bonté, zélé sans ambition, et accommodant par principe. J’allai le trouver. Ça m’ennuyait, je l’avoue. J’avais peur qu’il ne me fit mettre à genoux. J’entre, je salue ; je vois un homme assis près d’une petite table. — Brafort ne faisait jamais grâce d’aucun détail. — Il avait une figure douce, le regard perçant, une soutane, etc. Je lui dis :

» — Monsieur, vous le savez, j’ai besoin d’un billet de confession.

» — Je veux bien vous le donner, me répondit-il ; mais encore faut-il que vous vous confessiez de quelque chose.

» Je repris alors :

» — Monsieur, j’ai mené la vie de jeune homme et fait tout ce qu’on peut faire sans déshonneur. Voilà ma confession.

» Il me regarda en me disant :

» — Peut-être n’y a-t-il pas de quoi se vanter ?

» Car en effet, j’avoue que je n’avais pas eu l’air bien pénitent en disant cela ; et puis il me griffonna tout de suite ledit billet. Après il me fit un petit discours, plein d’excellentes choses, et dont je fus très-touché, puisque je lui dis en sort sortant :

» — Monsieur, c’est à vous que je confierai la conscience de madame Brafort.

» Il avait soixante ans, ce qui était une autre garantie ; et, en effet, Eugénie, tant qu’il a vécu, n’a pas eu d’autre confesseur. »


VI

L’ÉPOUSE.

Il est temps de parler des théories conjugales de Brafort. On les devinera facilement, si l’on a bien compris déjà le fond de bonne foi, de ténacité innée et d’amour-propre naïf qui constitue ce caractère.

Bien que ses théories se rapprochassent beaucoup de celles du premier consul, Brafort n’allait pas toutefois, avec ce grand homme, jusqu’à rêver le retour aux mœurs patriarcales ; il se contentait de trouver le code parfait.

Aux yeux de Brafort, l’infériorité de la femme était un dogme. Si, pour tout le reste de la nature, l’échelle des êtres se compose d’une espèce par échelon, il en établissait deux pour l’espèce humaine, plaçant la femme au degré inférieur, à peu près à égale distance du singe et de l’homme ; ce qui ne l’empêchait nullement de donner des ailes d’ange à sa fiancée, et de placer dans les sphères célestes l’honneur de madame Brafort.

Dans ces conditions, il va de soi que, — de par la loi naturelle, aussi bien que de par le code, — le mariage doit être une monarchie. Brafort était trop sérieux pour ne pas s’être préparé par des réflexions profondes à l’exercice d’un tel pouvoir. Depuis sa rupture avec Atala jusqu’au jour de son mariage, il y avait en effet, à ses heures de loisir, pensé plus d’une fois. Cependant, quand nous disons : réflexions profondes, il est bien entendu qu’elles ne s’appliquaient pas au principe en lui-même, mais seulement à ses conséquences. C’est le mode de réflexion le plus habituel. Et puis, un souverain (né souverain, non point homme) s’avise-t-il jamais de mettre en doute le principe de son existence ! Or, au point de vue du mariage, tout homme est né souverain. Tout homme naît participant de ce droit divin, que représente ici bas l’infaillibilité du pape et du monarque.

Brafort n’était pas homme à ne point sentir cela, et il en éprouva dans son âme, à la veille de son mariage, les saisissements et les joies qui doivent à son avénement agiter toute âme de prince. Qu’on n’allègue pas les différences ; en fait, il n’y en a point. Que fait en ceci le nombre ? Chaque créature humaine n’est heureuse ou malheureuse que dans sa propre unité, et cette simple unité est tout pour elle ; de tout souverain à tout sujet, le rapport est le même et la conséquence pareille. Donc, si restreint que dût être le nombre de ses sujets, Brafort, aussi bien que Charlemagne et Napoléon, beaucoup plus que Louis-Philippe, devenait oint du Seigneur et chargé d’âmes. Il allait assumer la direction d’un ou de plusieurs êtres, absorber dans sa destinée d’autres destinées ; il se prenait au sérieux, et faisait bien, car il avait à cela, nous le répétons, autant de droit qu’un pape sortant du conclave, ou qu’un dauphin au jour de son couronnement.

Et même, s’il avait eu plus de logique et de profondeur que n’en comportait sa nature, et que n’en comporte évidemment le tempérament intellectuel des hommes de notre temps, Brafort eût compris quelle relation intime, nécessaire, existe entre ces pouvoirs de pape et d’empereur et celui qu’il se reconnaissait à lui-même en tant que mâle et chef de famille. Il aurait reconnu que la raison d’ordre, fondée sur l’autorité nécessaire d’un seul, sur hiérarchie religieuse, monarchique ou familiale, est la même à tous degrés ; qu’attaquer un de ces pouvoirs est saper les autres du même coup, et, rougissant de l’illogisme de ses contemporains qui veulent, en détruisant l’autorité au sommet, la conserver à la base, il eût renoncé