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Hector Malot.

UNE BELLE-MÈRE

I

Le quartier du Temple se présente sous un double aspect. Dans la partie qui confine au Marais, on trouve des rues larges, bordées de belles maisons qui ont été autrefois bâties pour la noblesse ou la magistrature. la partie qui touche au quartier Saint-Martin, on ne rencontre au contraire que des rues étroites, dont les maisons laides et sales sont occupées par le commerce et la petite industrie parisienne.

La rue des Vieilles-Haudriettes, qui va de la rue du Chaume à la rue du Grand-Chantier, participe de ces deux caractères : par quelques-unes de ses construc- tions, qui sont vastes et architecturales, elle appartient au Marais ; par sa population ouvrière, au quartier du Temple. Elle est frontière, et con et comme telle elle tient de ses deux voisins, sans avoir une physionomie propre. Nulle part, rue des Gravilliers, rue Phélipeaux, rue de Montmorency, on ne trouvera plus d’enseignes aux façades des maisons et d’écriteaux aux grandes portes : larges tableaux noirs s’étalant d’étages en étages, petites plaques de cuivre, écussons en tôle vernie, panon- ceaux, armoiries. Si le curieux qui passe pour la première fois dans cette rue lève les yeux sur les enseignes qui ont pour but de provoquer son attention et de le guider, il verra qu’il est en plein dans le quartier de l’industrie des bi- joux ; pour un écusson qui lui indiquera les magasins d’un marchand de peaux de lapin ou les bureaux du journal hébraïque le Libanon, il trouvera vingt plaques de bijoutiers en or, en argent, en plaqué, de lapidaires, d’orfèvres, de fabricants de bagues, de boutons, d’e pingles, de broches, de pendants, de colliers, de mé- daillons, de chaînes, de pendeloques, de breloques, de croix, de reliquaires, de cassolettes, de tabalières, d’é- tuis, de briquets. Seule au milieu de ces enseignes, qui dans leur con- fusion peuvent troubler l’acheteur indécis, se montre au-dessus d’une porte cochère une longue plaque en LE SIÈCLE. XLV. marbre noir sur laquelle on lit en lettres d’or gravées en creux, un simple nom : DALIPHARE. Pas d’autres indications. Ce nom tout seul en dit as- sez sans doute et les explications ne sont pas néces- saires. Pour les habitants du quartier ou pour ceux qui con- naissent l’industrie des métaux, cela est possible ; mais, pour le passant ou l’étranger, nom pro ne dit rien de précis malgré sa physionomie originale. Quo vend-on, que fabrique-t-on dans la maison Daliphare ? Si l’on regarde par la grande porte, on aperçoit une cour plus large que longue, autour de laquelle s’élève raison au fond une maison à deux étages et de chaque côté, en retour d’équerre, des bâtiments qui paraissent occu- pés par des ateliers. La maison, construite au dix-septième siècle, dans les jardins du couvent des religieuses hospitalières qui ont donné leur nom à la rue, est un vieil hôtel qui a dû avoir belle apparence avant d’être approprié aux be- soins de l’industrie moderne. De sa splendeur passée, il conserve des fenêtres décorées de rinceaux et çà et là quelques morceaux de sculpture qui n’ont point encore disparu sous les nombreux tuyaux de tôle et de poterie appliqués sur sa façade, contre laquelle ils ont laissé couler, dans les jours de grande pluie, des trainées de suie et de rouille. Elevées en briques et en carreaux de plâtre, les deux constructions latérales n’ont aucun ca- ractere ; elles sont occupées par des hangars et des ate- liers. Au-dessus de celui de gauche, se dresse une haute cheminée en tôle, semblable à celle d’un bateau à va- peur, , et du matin au soir elle vomit des tourbillons do fumée, qui vont noircir la cime d’un vieux peuplier planté au milieu de la cour. Un appareil de transmission traverse cette cour et va se perdre dans les bâtiments de droite, d’où sortent les ronflements de plusieurs cylindres en mouvement. 9203.