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musée des familles.


pas quelque ancienne figure de connaissance ; mais il faut croire qu’il fut déçu dans cette espérance, et que telle déception lui donna même de L’humeur, car, revenant au curé, et reprenant la conversation au point où il avait interrompue :

— Enfin ! dit-il, vérité ou erreur, ce soir même j’en aurai le cœur net ; dans deux heures nous serons arrivés Jlfe Arcis, et alors, maître Jacques, ou plutôt maître frifon, je saurai bien lire dans votre jeu,

— Silence ! fit le curé en baissant la voix et en lui mettant la main sur le bras.

En même temps il lui désignait du regard une jeune


fille en deuil qui, suivie d’une femme d’un certain âge, sa gouvernante, sans doule, allait remonter dans la diligence et avait déjà le pied sur le marchepied.

La jeune fille avait-elle entendu les dernières paroles d’André, c’est ce que nous ne pourrions affirmer ; mais elle s’arrêta, se retourna, et ses grands yeux étonnés se fixèrent sur ceux du soldat comme une muette interrogation.

— Ah ! la ravissante jeune fille ! s’écria celui-ci.

Mais, sans s’en rendre compte, son regard s’abaissa devant celui de l’inconnue.

Du reste, l’apparition n’avait duré qu’une seconde. Les

Le relai. Dessin de V. Foulquier.


deux femmes avaient disparu, et la portière du coupé s’était refermée sur elles.

— En voiture, messieurs ! en voiture ! fit le conducteur. André et le curé regagnèrent leurs places dans la rotonde.

— Pourquoi m’avez-vous dit : Silence ? demanda le premier à son compagnon. Connaîtriez-vous cette jeune fille, par hasard ?

— Elle ! non ! mais je connais la personne qui l’accompagne, et je devine qui elle est.

— Et qui est-elle ?

— C’est Mlle Madeleine Bordier, la fille de maître Jacques.


— Ah ! fit André tout saisi, et il ajouta mentalement : M’a-t-elle entendu ?

La lourde voiture s’était remise en marche.


II. — MAITRE JACQUES.


Jacques Bordier, ou maître Jacques, comme on l’appelait plus ordinairement, pouvait avoir de cinquante —huit à soixante ans au moment où commence cette histoire.

Petit, maigre, l’œil vif, le teint encore frais, il avait une de ces physionomies qui frappent tout d’abord, un mélange de bonhomie et de finesse. Il était constamment vêtu, hiver comme été, d’une longue houppelande de