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MUSÉE DES FAMILLES.

nées, de perdre du temps en marches et en contre-marches, nous risquerions d’arriver trop tard, si nous arrivions…

— Alors, en route, reprit le comte.

— En route, répondit Kernan.

Une famille bretonne, d’après le plâtre de M… Dessin de Morin.

Le comte de Chanteleine avait toute confiance dans ce Kernan, son frère de lait ; ce brave Breton faisait partie de la famille ; il appelait « ma nièce » Mlle Marie de Chanteleine, et la jeune fille le nommait « mon oncle Kernan  ». Depuis leur enfance, le maître et le serviteur ne s’étaient jamais quittés ; le Breton, par l’éducation qu’il avait reçue, se trouvait supérieur aux gens de sa condition. Après avoir partagé les plaisirs de l’enfant, les fatigues du jeune homme, il venait de prendre avec lui sa part des misères et des malheurs de la guerre. Le comte, en partant pour rejoindre Cathelineau, aurait voulu laisser Kernan au château de Chanteleine, mais séparer le frère du frère eût été impossible ; d’autres serviteurs restaient, d’ailleurs, pour protéger la comtesse. Puis, la situation du château au fond du Finistère, loin de Quimper, loin de Brest, où s’agitaient les clubs républicains, dans un pays perdu entre le Fouesnant et Plougastel, rassurait le comte, et croyant sa famille en sûreté, il n’avait pas hésité à se jeter dans le mouvement royaliste.

Seulement la rencontre de Karval, ancien domestique du château, et chassé un an auparavant pour vol, ses menaces, ses paroles, créaient un danger immédiat au-devant duquel il fallait voler.

Le comte et Kernan se jetèrent donc en dehors de la route, au moment où les fuyards arrivaient aux marais de Saint-Joachim. Ils entrevirent une dernière fois cette colonne effarée qui se perdait au milieu des ténèbres et dont les cris s’éteignirent peu à peu dans l’ombre de la nuit.

À huit heures du soir, le comte et Kernan arrivèrent à Guérande. Ils devançaient d’une demi-heure à peine les plus rapides des fugitifs ; les herses de la ville étaient levées, mais, par la poterne, ils pénétrèrent dans ses rues désertes.

Quelle morne tranquillité comparée à l’horrible fracas