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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

peu émue, vous êtes ici sous un toit hospitalier ; dormez en paix, bonne nuit ; moi, je m’en vais.

— Pourquoi ? dit Musette, les yeux presque fermés ; je n’ai point peur, je vous assure ; d’abord il y a deux chambres, je me mettrai sur votre canapé.

— Mon canapé est trop dur pour y dormir, ce sont des cailloux cardés. Je vous donne l’hospitalité chez moi, et je vais aller la demander pour moi à un ami qui demeure là sur mon carré ; c’est plus prudent, dit-il. Je tiens ordinairement ma parole ; mais j’ai vingt-deux ans, et vous dix-huit, ô Musette… et je m’en vais. Bonsoir.

Le lendemain matin, à huit heures, Marcel rentra chez lui avec un pot de fleurs qu’il avait été acheter au marché. Il trouva Musette qui s’était jetée tout habillée sur le lit et dormait encore. Au bruit qu’il fit elle se réveilla et tendit la main à Marcel.

— Brave garçon ! lui dit-elle.

— Brave garçon, répéta Marcel, n’est-il point là un synonyme à ridicule ?

— Oh ! fit Musette, pourquoi me dites-vous cela ? ce n’est pas aimable ; au lieu de me dire des méchancetés, offrez-moi donc ce joli pot de fleurs.

— C’est en effet à votre intention que je l’ai monté, dit Marcel. Prenez-le donc, et, en retour de mon hospitalité, chantez-moi une de vos jolies chansons ; l’écho de ma mansarde gardera peut-être quelque chose de votre voix, et je vous entendrai encore quand vous serez partie.

— Ah çà ! mais, vous voulez donc me mettre à la porte ? dit Musette. Et si je ne veux pas m’en aller, moi ? Écoutez, Marcel, je ne monte pas à trente-six échelles pour dire ma façon de penser. Vous me plaisez et je vous plais. Ça n’est pas de l’amour, mais c’en est peut-être de la graine. Eh bien ! je ne m’en vais pas ; je reste, et je resterai ici tant que les fleurs que vous venez de me donner ne se faneront pas.

— Ah ! s’écria Marcel, mais elles seront flétries dans deux jours ! Si j’avais su, j’aurais pris des immortelles.

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Depuis quinze jours Musette et Marcel demeuraient ensemble et menaient, bien qu’ils fussent souvent sans argent, la plus charmante vie du monde. Musette sentait pour l’ar-