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MADEMOISELLE MUSETTE.

très-fraîche, sinon très-juste, une foule de rondes campagnardes qui lui valurent le nom sous lequel l’ont depuis célébrée les plus fins lapidaires de la rime, mademoiselle Musette quitta brusquement la rue de la Harpe pour aller habiter les hauteurs cythéréennes du quartier Bréda.

Elle ne tarda pas à devenir une des lionnes de l’aristocratie du plaisir, et s’achemina peu à peu vers cette célébrité qui consiste à être citée dans les courriers de Paris, ou lithographiée chez les marchands d’estampes.

Cependant mademoiselle Musette était une exception parmi les femmes au milieu desquelles elle vivait. Nature instinctivement élégante et poétique, comme toutes les femmes vraiment femmes, elle aimait le luxe et toutes les jouissances qu’il procure ; sa coquetterie avait d’ardentes convoitises pour tout ce qui était beau et distingué ; fille du peuple, elle n’eut été aucunement dépaysée au milieu des somptuosités les plus royales. Mais mademoiselle Musette, qui était jeune et belle, n’aurait jamais voulu consentir à être la maîtresse d’un homme qui ne fût pas comme elle jeune et beau. On lui avait vu une fois refuser bravement les offres magnifiques d’un vieillard si riche, qu’on l’appelait le Pérou de la Chaussée-d’Antin, et qui avait mis un escalier d’or aux pieds des fantaisies de Musette. Intelligente et spirituelle, elle avait aussi en répugnance les sots et les niais, quels que fussent leur âge, leur titre et leur nom.

C’était donc une brave et belle fille que Musette, qui, en amour, adoptait la moitié du célèbre aphorisme de Champfort : « L’amour est l’échange de deux fantaisies. » Aussi, jamais ses liaisons n’avaient été précédées d’un de ces honteux marchés qui déshonorent la galanterie moderne. Comme elle le disait elle-même, Musette jouait franc jeu, et exigeait qu’on lui rendît la monnaie de sa sincérité.

Mais si ses fantaisies étaient vives et spontanées, elles n’étaient jamais assez durables pour arriver à la hauteur d’une passion. Et la mobilité excessive de ses caprices, le peu de soin qu’elle apportait à regarder la bourse et les bottes de ceux qui lui en voulaient conter, apportaient une grande mobilité dans son existence, qui était une perpétuelle alternative de coupés bleus et d’omnibus, d’entre-sol et de