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ALI-RODOLPHE, OU LE TURC PAR NÉCESSITÉ.

— Mille remerciements, répondit Sidonie en allumant sa cigarette.

— Mon Dieu, Mademoiselle… continua Rodolphe, en échange du léger service que mon bon ange m’a permis de vous rendre, oserais-je vous demander ?…

— Comment ! Il demande déjà ! Pensa Sidonie en regardant Rodolphe avec plus d’attention. Ah ! dit-elle, ces Turcs ! on les dit volages, mais bien agréables. Parlez, Monsieur, fit-elle ensuite en relevant la tête vers Rodolphe : que désirez-vous ?

— Mon Dieu, Mademoiselle, je vous demanderai la charité d’un peu de tabac ; il y a deux jours que je n’ai fumé. Une pipe seulement…

— Avec plaisir, Monsieur… Mais comment faire ? Veuillez prendre la peine de descendre un étage.

— Hélas ! cela ne m’est point possible… Je suis enfermé ; mais il me reste la liberté d’employer un moyen très-simple, dit Rodolphe.

Et il attacha sa pipe à une ficelle, et la laissa glisser jusqu’à la terrasse, où mademoiselle Sidonie la bourra elle-même avec abondance. Rodolphe procéda ensuite, avec lenteur et circonspection, à l’ascension de sa pipe, qui lui arriva sans encombre.

— Ah ! Mademoiselle, dit-il à Sidonie, combien cette pipe m’eût semblé meilleure si j’avais pu l’allumer au feu de vos yeux !

Cette agréable plaisanterie en était au moins à la centième édition, mais mademoiselle Sidonie ne la trouva pas moins superbe.

— Vous me flattez ! crut-elle devoir répondre.

— Ah ! Mademoiselle, je vous assure que vous me paraissez belle comme les trois Grâces.

— Décidément, Ali-Baba est bien galant, pensa Sidonie… Est-ce que vous êtes vraiment Turc ? demanda-t-elle à Rodolphe.

— Point par vocation, répondit-il, mais par nécessité ; je suis auteur dramatique, Madame.

— Et moi artiste, reprit Sidonie.

Puis elle ajouta :