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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

entre les dents ; mon mobilier pourrait s’abîmer. Commissionnaire, ajouta-t-il, en s’adressant à l’homme qui était resté derrière lui, porteur d’un crochet chargé d’objets dont le portier ne s’expliquait pas bien la nature, déposez cela sous le vestibule, et retournez à mon ancien logement prendre ce qu’il y reste encore de meubles précieux et d’objets d’art.

Le commissionnaire rangea au long d’un mur plusieurs châssis d’une hauteur de six ou sept pieds et dont les feuilles, reployées en ce moment les unes sur les autres, paraissaient pouvoir se développer à volonté.

— Tenez ! dit le jeune homme au commissionnaire en ouvrant à demi l’un des volets et en lui désignant un accroc qui se trouvait dans la toile, voilà un malheur, vous m’avez étoilé ma grande glace de Venise ; tâchez de faire attention dans votre second voyage, prenez garde surtout à ma bibliothèque.

— Qu’est-ce qu’il veut dire avec sa glace de Venise ? marmotta le portier en tournant d’un air inquiet autour des châssis posés contre le mur, je ne vois pas de glace ; mais c’est une plaisanterie sans doute, je ne vois qu’un paravent ; enfin, nous allons bien voir ce qu’on va apporter au second voyage.

— Est-ce que votre locataire ne va pas bientôt me laisser la place libre ? Il est midi et demi et je voudrais emménager, dit le jeune homme.

— Je ne pense pas qu’il tarde maintenant, répondit le portier ; au reste, il n’y a pas encore de mal, puisque vos meubles ne sont pas arrivés, ajouta-t-il en appuyant sur ces mots.

Le jeune homme allait répondre, lorsqu’un dragon en fonction de planton entra dans la cour.

— M. Bernard ? demanda-t-il en tirant une lettre d’un grand portefeuille de cuir qui lui battait les flancs.

— C’est ici, répondit le portier.

— Voici une lettre pour lui, dit le dragon, donnez-m’en le reçu, et il tendit au concierge un bulletin de dépêches, que celui-ci alla signer dans sa loge.

— Pardon si je vous laisse seul, dit le portier au jeune homme qui se promenait dans la cour avec impatience ; mais voici une lettre du ministère pour M. Bernard, mon propriétaire, et je vais la lui montrer.