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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.


Musette qui s’est souvenue,
Le carnaval étant fini,
Un beau matin est revenue,
Oiseau volage, à l’ancien nid ;
Mais en embrassant l’infidèle,
Mon cœur n’a plus senti d’émoi,
Et Musette, qui n’est plus elle,
Disait que je n’étais plus moi.

Adieu, va-t’en, chère adorée,
Bien morte avec l’amour dernier ;
Notre jeunesse est enterrée
Au fond du vieux calendrier.
Ce n’est plus qu’en fouillant la cendre
Des beaux jours qu’il a contenus,
Qu’un souvenir pourra nous rendre
La clef des paradis perdus.

— Eh bien, dit Marcel, quand il eut achevé, tu es rassuré maintenant ; mon amour pour Musette est bien trépassé, puisque les vers s’y mettent, ajouta-t-il ironiquement, en montrant le manuscrit de sa chanson.

— Pauvre ami, dit Rodolphe, ton esprit se bat en duel avec ton cœur, prends garde qu’il ne le tue !

— C’est déjà fait, répondit le peintre ; nous sommes finis, mon vieux, nous sommes morts et enterrés. La jeunesse n’a qu’un temps ! Où dînes-tu ce soir ?

— Si tu veux, dit Rodolphe, nous irons dîner à douze sous dans notre ancien restaurant de la rue du Four, là où il y a des assiettes en faïence de village, et où nous avions si faim quand nous avions fini de manger.

— Ma foi, non, répliqua Marcel. Je veux bien consentir à regarder le passé, mais ce sera au travers d’une bouteille de vrai vin, et assis dans un bon fauteuil. Qu’est-ce que tu veux, je suis un corrompu. Je n’aime plus que ce qui est bon !