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LA JEUNESSE N’A QU’UN TEMPS.

je pensais à elle. Ah ! mon ami, nous avons passé une triste nuit en somme, ce n’était plus ça du tout, mais du tout. Nous avions l’air d’une mauvaise copie d’un chef-d’œuvre. J’ai même fait à propos de cette dernière séparation une petite complainte que je vais te larmoyer, si tu permets ; et Marcel se mit à fredonner les couplets suivants :

Hier, en voyant une hirondelle
Qui nous ramenait le printemps,
Je me suis rappelé la belle
Qui m’aima quand elle eut le temps
— Et pendant toute la journée,
Pensif, je suis resté devant
Le vieil almanach de l’année
Où nous nous sommes aimés tant.

— Non, ma jeunesse n’est pas morte,
Il n’est pas mort ton souvenir ;
Et si tu frappais à ma porte,
Mon cœur, Musette, irait t’ouvrir.
Puisqu’à ton nom toujours il tremble, —
Muse de l’infidélité, —
Reviens encor manger ensemble
Le pain béni de la gaîté.

— Les meubles de notre chambrette,
Ces vieux amis de notre amour,
Déjà prennent un air de fête
Au seul espoir de ton retour.
Viens, tu reconnaîtras, ma chère,
Tous ceux qu’en deuil mit ton départ,
Le petit lit — et le grand verre
Où tu buvais souvent ma part.

Tu remettras la robe blanche
Dont tu te parais autrefois,
Et comme autrefois, le dimanche,
Nous irons courir dans les bois.
Assis le soir sous la tonnelle,
Nous boirons encor ce vin clair
Où ta chanson mouillait son aile
Avant de s’envoler dans l’air.