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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

qu’on la descendit à la voiture. Pendant le trajet, elle souffrit horriblement des cahots du fiacre. Au milieu de ces souffrances, la dernière chose qui meurt chez les femmes, la coquetterie, survivait encore ; deux ou trois fois elle fit arrêter la voiture devant les magasins de nouveautés, pour regarder les étalages.

En entrant dans la salle indiquée par son bulletin, Mimi ressentit un grand coup au cœur ; quelque chose lui dit intérieurement que c’était entre ces murs lépreux et désolés que s’achèverait sa vie. Elle employa tout ce qu’elle avait de volonté pour dissimuler l’impression lugubre qui l’avait glacée.

Quand elle fut couchée dans le lit, elle embrassa Rodolphe une dernière fois et lui dit adieu, en lui recommandant de venir la voir le dimanche suivant, qui était jour d’entrée.

— Ça sent bien mauvais ici, lui dit-elle, apporte-moi des fleurs, des violettes, il y en a encore.

— Oui, dit Rodolphe, adieu, à dimanche.

Et il tira sur elle les rideaux du lit. En entendant sur le parquet les pas de son amant qui s’en allait, Mimi fut prise soudainement d’un accès de fièvre presque délirante. Elle ouvrit brusquement les rideaux, et, se penchant à demi hors du lit, elle s’écria d’une voix entrecoupée de larmes :

— Rodolphe, r’emmène-moi ! je veux m’en aller !

La religieuse accourut à son cri et tâcha de la calmer.

— Oh ! dit Mimi, je vais mourir ici.

Le dimanche matin, qui était le jour où il devait aller voir Mimi, Rodolphe se rappela qu’il lui avait promis des violettes. Par une superstition poétique et amoureuse, il alla à pied, par un temps horrible, chercher les fleurs que lui avait demandées son amie, dans ces bois d’Aulnay et de Fontenay, où tant de fois il avait été avec elle. Cette nature si gaie, si joyeuse, sous le soleil des beaux jours de juin et d’août, il la trouva morne et glacée. Pendant deux heures il battit les buissons couverts de neige, souleva les massifs et les bruyères avec un petit bâton, et finit par réunir quelques brins de paillettes, justement dans une partie de bois qui avoisine l’étang du Plessis, et dont ils faisaient tous les deux leur retraite favorite quand ils venaient à la campagne.

En traversant le village de Châtillon pour retourner à Pa-