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ÉPILOGUE DES AMOURS DE RODOLPHE ET DE MIMI.

rira peut-être ; il faut m’y conduire. Ah ! vois-tu, j’ai tant envie de vivre à présent, que je consentirais à finir mes jours une main dans le feu, et l’autre dans la tienne. D’ailleurs tu viendras me voir. Il ne faudra pas te faire de chagrin ; je serai bien soignée, ce jeune homme me l’a dit. On donne du poulet, à l’hôpital, et on fait du feu. Pendant que je me soignerai, tu travailleras pour gagner de l’argent, et quand je serai guérie, je reviendrai demeurer avec toi. J’ai beaucoup d’espérance maintenant. Je redeviendrai jolie comme autrefois. J’ai déjà été malade dans le temps, quand je ne te connaissais pas ; on m’a sauvée. Pourtant je n’étais pas heureuse dans ce temps-là, j’aurais bien dû mourir. Maintenant que je t’ai retrouvé et que nous pouvons être heureux, on me sauvera encore, car je me défendrai joliment contre la maladie. Je boirai toutes les mauvaises choses qu’on me donnera, et si la mort me prend, ce sera de force. Donne-moi le miroir, il me semble que j’ai des couleurs. Oui, dit-elle en se regardant dans la glace, voilà déjà mon bon teint qui me revient ; et mes mains, vois, dit-elle, elles sont toujours bien gentilles ; embrasse-les encore une fois, ça ne sera pas la dernière, va, mon pauvre ami, dit-elle en serrant Rodolphe par le cou et en lui noyant le visage dans ses cheveux déroulés.

Avant de partir à l’hôpital, elle voulut que ses amis les bohèmes restassent pour passer la soirée avec elle. Faites-moi rire, dit-elle, la gaieté c’est ma santé. C’est ce bonnet de nuit de vicomte qui m’a rendue malade. Il voulait m’apprendre l’orthographe, figurez-vous ; qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? Et ses amis donc, quelle société ! une vraie basse-cour, dont le vicomte était le paon. Il marquait son linge lui-même. S’il se marie jamais, je suis sûre que c’est lui qui fera les enfants.

Rien de plus navrant que la gaieté quasi posthume de cette malheureuse fille. Tous les bohèmes faisaient de pénibles efforts pour dissimuler leurs larmes et maintenir la conversation sur le ton de plaisanterie où l’avait montée la pauvre enfant, pour laquelle la destinée filait si vite le lin du dernier vêtement.

Le lendemain au matin, Rodolphe reçut le bulletin de l’hôpital. Mimi ne pouvait pas se tenir sur ses jambes ; il fallut