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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

trèfle, ajouta-t-elle plus gaiement. Oui, nous aurons de l’argent.

Marcel ne savait que dire devant le délire lucide de cette créature qui avait, comme elle le disait, les vers du tombeau après elle !

Au bout d’une heure Rodolphe rentra. Il était accompagné de Schaunard et de Gustave Colline. Le musicien était en paletot d’été. Il avait vendu ses habits de drap pour prêter de l’argent à Rodolphe, en apprenant que Mimi était malade. Colline, de son côté, avait été vendre des livres. On aurait voulu lui acheter un bras ou une jambe, qu’il y aurait consenti plutôt que de se défaire de ces chers bouquins. Mais Schaunard lui avait fait observer qu’on ne pourrait rien faire de son bras ou de sa jambe.

Mimi s’efforça de reprendre sa gaieté pour accueillir ses anciens amis.

— Je ne suis plus méchante, leur dit-elle, et Rodolphe m’a pardonné. S’il veut me garder avec lui, je mettrai des sabots et une marmotte, ça m’est bien égal. Décidément la soie n’est pas bonne pour ma santé, ajouta-t-elle avec un affreux sourire.

Sur les observations de Marcel, Rodolphe avait envoyé chercher un de ses amis, qui venait d’être reçu médecin. C’était le même qui avait jadis soigné la petite Francine. Quand il arriva, on le laissa seul avec Mimi.

Rodolphe, prévenu d’avance par Marcel, savait déjà le danger que courait sa maîtresse. Lorsque le médecin eut consulté Mimi, il dit à Rodolphe :

— Vous ne pouvez pas la garder. À moins d’un miracle elle est perdue. Il faut l’envoyer à l’hôpital. Je vais vous donner une lettre pour la Pitié ; j’y connais un interne, on prendra bien soin d’elle. Si elle atteint le printemps, peut-être la tirerons-nous de là ; mais si elle reste ici, dans huit jours elle ne sera plus.

— Je n’oserai jamais lui proposer cela, dit Rodolphe.

— Je le lui ai dit, moi, répondit le médecin, et elle y consent. Demain je vous enverrai le bulletin d’admission à la Pitié.

— Mon ami, dit Mimi à Rodolphe, le médecin a raison, vous ne pourriez pas me soigner ici. À l’hospice on me guér-