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ÉPILOGUE DES AMOURS DE RODOLPHE ET DE MIMI.

pauvre Marcel, et on m’enterrera avec. Ah ! si vous saviez comme je souffre de savoir que je vais mourir ! Rodolphe sait que je suis malade ; il est resté plus d’une heure sans parler, hier, quand il a vu mes bras et mes épaules si maigres ; il ne reconnaissait plus sa Mimi, hélas !… mon miroir même ne me reconnaît plus. Ah ! c’est égal, j’ai été jolie, et il m’a bien aimée. Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-elle en cachant sa figure dans les mains de Marcel, mon pauvre ami, je vais vous quitter et Rodolphe aussi. Ah ! mon Dieu ! Et les sanglots étranglèrent sa voix.

— Allons, Mimi, dit Marcel, ne vous désolez pas, vous vous guérirez ; il faut seulement beaucoup de soins et de tranquillité.

— Ah ! non, fit Mimi, c’est bien fini, je le sens. Je n’ai plus de forces ; et quand je suis venue ici hier au soir, j’ai mis plus d’une heure à monter l’escalier. Si j’avais trouvé une femme, c’est moi qui serais joliment descendue par la fenêtre. Cependant il était libre, puisque nous n’étions plus ensemble ; mais, voyez-vous, Marcel, j’étais bien sûre qu’il m’aimait encore. C’est pour ça, dit-elle en fondant en larmes, c’est pour ça que je ne voudrais pas mourir tout de suite : mais c’est fini, tout à fait. Tenez, Marcel, faut qu’il soit bien bon ce pauvre ami, pour m’avoir reçue après tout le mal que je lui ai fait. Ah ! le bon Dieu n’est pas juste, puisqu’il ne me laisse pas seulement le temps de faire oublier à Rodolphe le chagrin que je lui ai causé. Il ne se doute pas de l’état où je suis. Je n’ai pas voulu qu’il se couchât à côté de moi, voyez-vous, car il me semble que j’ai déjà les vers de la terre après mon corps. Nous avons passé la nuit à pleurer et à parler d’autrefois. Ah ! comme c’est triste, mon ami, de voir derrière soi le bonheur auprès duquel on est passé jadis sans le voir ! J’ai du feu dans la poitrine ; et quand je remue mes membres, il me semble qu’ils vont se briser. Tenez, dit-elle à Marcel, passez-moi donc ma robe. Je vais faire les cartes pour savoir si Rodolphe apportera de l’argent. Je voudrais faire un bon déjeuner avec vous ! comme autrefois, ça ne me ferait pas de mal ; Dieu ne peut pas me rendre plus malade que je ne le suis. Voyez, dit-elle à Marcel en montrant le jeu de cartes qu’elle venait de couper, voilà du pique. C’est la couleur de la mort. Et voilà du