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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

veux pas, Marcel, vous aviez raison ; je lui ai fait du mal à ce pauvre garçon.

— Et vous, demanda Marcel, est-ce que vous l’aimez encore ?

— Ah ! si je l’aime, dit-elle en joignant les mains, c’est ce qui fait mon tourment. Je suis bien changée, allez, mon pauvre ami, et il a fallu peu de temps pour cela.

— Eh bien ! puisqu’il vous aime, que vous l’aimez, et que vous ne pouvez pas vous passer l’un de l’autre, remettez-vous ensemble, et tâchez donc d’y rester une bonne fois.

— C’est impossible, fit Mimi.

— Pourquoi ? demanda Marcel. Certainement il serait plus raisonnable que vous vous quittassiez ; mais pour ne plus vous revoir, il faudrait que vous fussiez à mille lieues l’un de l’autre.

— Avant peu, je serai plus loin que ça.

— Hein, que voulez-vous dire ?

— N’en parlez pas à Rodolphe, cela lui ferait trop de chagrin, je vais m’en aller pour toujours.

— Mais où ?

— Tenez, mon pauvre Marcel, dit Mimi en sanglotant, regardez. Et relevant un peu le drap de son lit, elle montra à l’artiste ses épaules, son cou et ses bras.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria douloureusement Marcel, pauvre fille !

— N’est-ce pas, mon ami, que je ne me trompe pas et que je vais mourir bientôt ?

— Mais, comment êtes-vous devenue ainsi en si peu de temps ?

— Ah ! répliqua Mimi, avec la vie que je mène depuis deux mois, ce n’est pas étonnant : toutes les nuits passées à pleurer, les jours à poser dans les ateliers sans feu, la mauvaise nourriture, le chagrin que j’avais ; et puis, vous ne savez pas tout : j’ai voulu m’empoisonner avec de l’eau de Javelle ; on m’a sauvée, mais pas pour longtemps, vous voyez. Avec ça que je n’ai jamais été bien portante ; enfin, c’est ma faute : si j’étais restée tranquille avec Rodolphe, je n’en serais pas là. Pauvre ami, voilà encore que je lui retombe sur les bras, mais ce ne sera pas pour longtemps, la dernière robe qu’il me donnera sera toute blanche, mon