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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

— Approche-toi donc, Rodolphe, dit Marcel à son ami ; nous allons souper tous les trois.

— Non, dit le poëte en restant dans son coin.

— Est-ce que ça vous fâche, Rodolphe, que je sois venue ici ? lui demanda Mimi avec douceur ; où voulez-vous que j’aille ?

— Non, Mimi, répondit Rodolphe, seulement j’ai du chagrin à vous revoir ainsi.

— C’est ma faute, Rodolphe, je ne me plains pas ; ce qui est passé est passé, n’y songez pas plus que moi. Est-ce que vous ne pourriez plus être mon ami, parce que vous avez été autre chose ? si, tout de même, n’est-ce pas ? Eh bien, alors, ne me faites pas mauvaise mine, et venez vous mettre à table avec nous.

Elle se leva pour aller le prendre par la main, mais elle était si faible, qu’elle ne put faire un pas et retomba sur la chaise.

— La chaleur m’a engourdie, dit-elle, je ne peux pas me tenir.

— Allons, dit Marcel à Rodolphe, viens nous faire compagnie.

Le poëte s’approcha de la table et se mit à manger avec eux. Mimi était très-gaie.

Quand le frugal souper fut terminé, Marcel dit à Mimi :

— Ma chère enfant, il ne nous est pas possible de vous faire donner une chambre dans la maison.

— Il faut donc que je m’en aille, dit-elle en essayant de se lever.

— Mais non ! mais non ! s’écria Marcel, j’ai un autre moyen d’arranger l’affaire ; vous allez rester dans ma chambre, et moi j’irai loger avec Rodolphe.

— Ça va bien vous gêner, fit Mimi, mais ça ne durera pas longtemps, deux jours.

— Comme ça, ça ne nous gêne pas du tout, répondit Marcel ; ainsi, c’est entendu, vous êtes ici chez vous, et nous, nous allons nous coucher chez Rodolphe. Bonsoir, Mimi dormez bien.

— Merci, dit-elle en tendant la main à Marcel et à Rodolphe qui s’éloignaient.

— Voulez-vous vous enfermer ? lui demanda Marcel quand il fut près de la porte.

— Pourquoi ? fit Mimi en regardant Rodolphe, je n’ai pas peur !