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ÉPILOGUE DES AMOURS DE RODOLPHE ET DE MIMI.

voulait que je misse des bas de laine noire, sous le prétexte que c’était moins salissant que les blancs ! On n’a pas idée de ça ; enfin, il m’a joliment ennuyée, allez. Je puis bien dire que j’ai fait mon purgatoire avec lui.

— Et sait-il quelle est votre position ? demanda Marcel.

— Je ne l’ai pas revu ni ne veux pas le voir, répliqua Mimi, il me donne le mal de mer quand je pense à lui ; j’aimerais mieux mourir de faim que de lui demander un sou.

— Mais, continua Marcel, depuis que vous l’avez quitté, vous n’êtes pas restée seule.

— Ah ! s’écria Mimi avec vivacité, je vous assure que si, monsieur Marcel : j’ai travaillé pour vivre ; seulement, comme l’état de fleuriste n’allait pas très-bien, j’en ai pris un autre : je pose pour les peintres. Si vous avez de l’ouvrage à me donner… ajouta-t-elle gaiement.

Et, ayant remarqué un mouvement échappé à Rodolphe qu’elle ne quittait pas des yeux tout en parlant à son ami, Mimi reprit :

— Ah ! mais, je ne pose que pour la tête et pour les mains. J’ai beaucoup d’ouvrage, et on me doit de l’argent dans deux ou trois endroits ; j’en recevrai dans deux jours, c’est d’ici là seulement que je voudrais trouver où loger. Quand j’aurai de l’argent, je retournerai dans mon hôtel. Tiens, dit-elle en regardant la table, où se trouvaient encore les préparatifs du modeste festin auquel les deux amis avaient à peine touché, vous allez souper ?

— Non, dit Marcel, nous n’avons pas faim.

— Vous êtes bien heureux, dit naïvement Mimi.

— À cette parole, Rodolphe sentit son cœur qui se serrait horriblement ; il fit à Marcel un signe que celui-ci comprit.

— Au fait, dit l’artiste, puisque vous voilà, Mimi, vous partagerez la fortune du pot. Nous nous étions proposé de faire réveillon avec Rodolphe, et puis… ma foi, nous avons pensé à autre chose.

— Alors, j’arrive bien, dit Mimi, en jetant sur la table où était la nourriture un regard presque affamé. Je n’ai pas dîné, mon cher, glissa-t-elle tout bas à l’artiste, de façon à ne pas être entendue de Rodolphe qui mordait son mouchoir pour ne pas éclater en sanglots.