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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

un glas funèbre et l’emplissaient d’une lugubre épouvante et la regarda plus attentivement à la dérobée. Ce n’était plus Mimi, c’était son spectre.

Marcel la fit asseoir au coin de la cheminée.

Mimi sourit en voyant la belle flamme qui dansait joyeusement dans le foyer.

— C’est bien bon, dit-elle en approchant de l’âtre ses pauvres mains violettes. À propos, monsieur Marcel, vous ne savez pas pourquoi je suis venue chez vous ?

— Ma foi non, répondit celui-ci.

— Eh bien, reprit Mimi, je venais tout simplement vous demander si vous ne pouviez pas me faire avoir une chambre dans votre maison. On vient de me renvoyer de mon hôtel garni, parce que je dois deux quinzaines, et je ne sais pas où aller.

— Diable ! fit Marcel en hochant la tête, nous ne sommes pas en bonne odeur chez notre hôtelier, et notre recommandation serait déplorable, ma pauvre enfant.

— Comment donc faire alors ? dit Mimi, c’est que je ne sais pas où aller.

— Ah çà ! demanda Marcel, vous n’êtes donc plus vicomtesse ?

— Ah ! mon Dieu, non, plus du tout.

— Mais depuis quand ?

— Depuis deux mois déjà.

— Vous avez donc fait des misères au jeune vicomte ?

— Non, dit-elle en jetant un regard à la dérobée sur Rodolphe, qui s’était mis dans l’angle le plus obscur de la chambre, le vicomte m’a fait une scène à cause des vers qu’on a composés sur moi. Nous nous sommes disputés, et je l’ai envoyé promener ; c’est un fier cancre, allez.

— Cependant, dit Marcel, il vous avait joliment bien nippée, à ce que j’ai vu le jour où je vous ai rencontrée.

— Eh bien ! fit Mimi, figurez-vous qu’il m’a tout repris quand je suis partie, et j’ai appris qu’il avait mis mes effets en loterie dans une mauvaise table d’hôte, où il m’emmenait dîner. Il est pourtant riche ce garçon, et avec toute sa fortune il est avare comme une bûche économique, et bête comme une oie ; il ne voulait pas que je busse du vin pur, et me faisait faire maigre les vendredis. Croiriez-vous qu’il